Certains d’entre nous, dont je fais partie, possèdent un ou plusieurs couteaux, de beaux couteaux tel un Laguiole ou plus démocratiquement un Opinel pour n’en citer que deux. Ces couteaux ont régulièrement besoin d’être aiguisé ou affûté ce qui revient strictement au même, si bien que tout possesseur d’un couteau aura grand intérêt à posséder aussi une pierre à aiguiser. J’ai trouvé la mienne lors d’un reportage dans les Pyrénées Ariègeoises dans une fabrique qui exploite la dernière carrière de pierres à aiguiser naturelles de France. La finesse de son grain et sa pureté minéralogique en font une pierre à aiguiser d’une qualité remarquable depuis plus de cent ans.
La fabrique de Saurat, plus d’un siècle d’aventure
Cette manufacture fût créée dans les années 1920 par Mr Cuminetti, arrivé d’Italie dans l’enfance et installé dans la belle vallée de Saurat au cœur de l’Ariège.
Découvrant une carrière de grès schisteux, il se mit à faire des pierres à faux très demandées dans la région mais aussi, ailleurs dans une France encore très rurale.
L’entreprise se développa tout particulièrement entre les deux guerres et passant de père en fils, elle arriva au seuil des années 2000 légèrement essoufflée mais toujours vaillante.
De son côté, c’est-à-dire à Thiers capitale de la coutellerie, toujours au début de ces années 2000, Alain Soucille, oeuvrant lui-même dans l’entreprise familiale de produits abrasifs et de polissage pour la coutellerie, connaît bien ce milieu qu’il affectionne.
Quand, lors d’un déjeuner chez sa mère, feuilletant un Rustica, il découvrit, dans un article, que la dernière fabrique de pierres à aiguiser naturelles de France cherchait un repreneur.
Quelques temps plus tard, revenant d’un voyage en Espagne et remontant par l’Ariège, il décida de céder à la curiosité et d’aller voir de plus près la fabrique de pierres à aiguiser.
Séduit par la qualité des pierres mais méfiant quant à la possibilité d’une reprise dynamique, Alain se rapprocha de couteliers pour avoir leurs opinions.
Certains le dissuadèrent franchement, d’autres, et de préférence, les artisans faisant de beaux et bons couteaux l’encouragèrent en se montrant très intéressés par le produit.
Enfin, sa comptable lui déconseilla cette nouvelle aventure qu’il s’empressa, finalement, d’initier en rachetant le fond de commerce et le fond de stock en 2004.
S’en suivirent quatre bonnes années bien difficiles durant lesquelles, le courageux enthousiaste démarcha les couteliers pour promouvoir la belle qualité de ses pierres, générant ainsi une nouvelle confiance vis à vis de ce produit.
Il créa un site internet, donnant une nouvelle dynamique à l’entreprise.
Dans la foulée, il imagina notamment de nouveaux modèles, proposa des marquages au laser très élégants pour personnaliser les pierres, innova avec la création d’une lime à ongles qui plaît beaucoup et qui, personnellement, m’accompagne quotidiennement dans mon sac à mains.
Quelles sont les origines de la pierre à aiguiser ?
Mais avant de pénétrer dans l’atelier de fabrication de ces pierres à aiguiser, il me semble intéressant de tracer les grandes lignes de l’histoire de la pierre à aiguiser comme j’aime souvent à le faire (cf mon livre Le mouchoir de la duchesse, voyage au cœur de l’artisanat d’art https://www.riveneuve.com/catalogue/le-mouchoir-de-la-duchesse-voyage-au-coeur-de-lartisanat-dart/ et https://lesvoyagesdeberengere.com/livre/).
Dès l’apparition de la métallurgie, l’homme aiguise et entretient des outils comme en attestent les pierres à aiguiser, les polissoirs et autres outils nécessaire à l’abrasion retrouvés dans les contextes archéologiques.
Dès l’âge de bronze, des gisements de pierres à aiguiser furent exploités en Crète comme en témoignent certains écrits de Pline l’Ancien.
Les roches étaient choisies en fonction de leur abrasivité naturelle, de leur rugosité et de leur ténacité, ce qui permettait d’user et de polir la matière plus facilement selon la finalité fonctionnelle souhaitée.
Aussi, depuis la Préhistoire, les outils en pierre répondent à des besoins quotidiens et interviennent dans des contextes domestiques et artisanaux.
Au grès des changements et des adaptations technologiques, ces outils ont évolué en parallèle aux besoins et aux usages des hommes.
La pierre est, ainsi, l’outil originel de l’affûteur, les paysans l’utilisant pour aiguiser leur faux, au moment de la saison des foins ou le couteau qui ne les quitte jamais – aiguiser signifiant aviver le fil tranchant de leur lame.
Initialement, la pierre, depuis la Préhistoire jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, provient d’une carrière de grès ou de schiste.
Sur le territoire français, ces carrières se situent dans les Vosges en Lorraine et dans les Pyrénées à Saurat telle celle qui nous occupe aujourd’hui et qui est la dernière carrière de France.
Comment fabrique-t-on une pierre à aiguiser ?
Une pierre à aiguiser se fabrique en plusieurs étapes.
La première étape consiste à extraire la pierre de la roche dans la carrière naturelle.
Auparavant, les artisans travaillaient avec des explosifs enlevant la roche de devant pour extraire les plaques, un peu comme on peut le faire pour récupérer de l’ardoise.
Aujourd’hui, Alain Soucille travaille la roche avec un mélange de ciment et de mortier expansif qu’il introduit à 80 cm de profondeur.
Par réaction chimique, la roche éclate et permet de dégager le filon.
Alain et son ouvrier déblayent la roche brisée avec un marteau piqueur et une mini-pelle sur son tracteur.
Puis, dans le bris de roches, il choisit ses plaques, les déplace à la main et les descend à l’atelier dans la vallée.
Chaque année, il met à jour ainsi 25 tonnes de plaques de pierres à aiguiser qu’il ramène dans l’atelier en tracteur par deux tonnes et demi à la fois.
Dans l’atelier, l’atmosphère est impressionnante, l’eau coule en permanence pour éviter que les pierres ne chauffent, la lumière pénètre par flots.
Je suis littéralement fascinée par la beauté du lieu.
Sous cette eau sans fin, Alain et son ouvrier réalisent les coupes à la scie au disque diamant dans la largeur de la plaque et chaque plaque fournit, a priori, trois coupes qui sont à nouveau taillées autant de fois que nécessaire avant de l’être définitivement par une bande en carbure de silicium qui définit leur calibrage pour correspondre à une pierre à aiguiser pour les outils à bois ou bien pour les paires de ciseaux ou encore pour les couteaux, ou pour les ongles etc.
Ensuite, chacune de ces petites pierres obtenues est poncée pour lui apporter une finition lisse.
Si Alain Soucille souhaite donner un côté rugueux à l’une des faces de la pierre, il la met dans un grand bac contenant de l’eau de Saurat, du gravier, du sable et des cailloux.
Ce bac est en mouvement permanent ce qui lui vaut d’être appelé « une berceuse ».
Les pierres sont ainsi travaillées par le mouvement en continu de l’eau, du gravier pendant une heure et demi.
Cette étape ne peut, en général, plus se faire en été quand il n’y a plus d’eau dans la nature…
Enfin, les pierres obtenues sont lavées à grandes eaux puis placées dans des brouettes et mise à sécher au soleil.
Ce séchage naturel permet de contrôler la qualité de la pierre à aiguiser fabriquée car si une paille est à l’intérieur, ce qui arrive parfois, elle éclate.
En hiver, le séchage se fait avec l’eau chaude et le poêle.
Quelle pierre à aiguiser choisir ?
De manière générale, la pierre à aiguiser peut être dure, donc très veinée et préférée pour affuter des faux ou bien demie-dure encore appelée pierre douce.
Cette pierre d’un grès plus homogène et plus fin est employée pour des affutages fins et précis tels les outils à bois, les paires de ciseaux, les couteaux ou les ongles…
A Saurat, contrairement aux pierres fabriquées avec des abrasifs et qui ont donc un numéro de grain défini à l’avance, la pierre étant naturelle elle n’a pas de grosseur de grain défini au préalable.
Alain Soucille travaille la pierre en fonction de ses qualités naturelles.
Ainsi, il choisira une pierre très veinée avec plus moins d’accroche pour réaliser une pierre dure.
Plus la pierre est naturellement mordante, plus l’affutage sera efficace et permettra d’obtenir un bon tranchant sans abîmer la lame.
Pour fabriquer une pierre à aiguiser demi-dure, Alain et son acolyte extraient un grès plus homogène et très fin qui est travaillé en deux versions l’une avec une finition lisse, l’autre avec une finition bercée dans le fameux bac en mouvement – dont nous avons découvert le fonction ci-dessus – pour obtenir un aspect grainé offrant une accroche plus importante.
La fabrique de pierres à aiguiser naturelles des Pyrénées propose ainsi des pierres à aiguiser les couteaux idéalement avec deux grains, la pierre à faux au grain dur, la pierre à menuisier pour les outils à bois tels gouge, burin, gouge à angle droit, la pierre à ciseaux et à sécateurs de jardinier, la pierre pour hameçons et la lime à ongles, design et chic, que l’on glisse dans son sac à main.
Notice d’utilisation en guise de conclusion
Une pierre à aiguiser peut s’utiliser à sec, mais également à l’eau.
Dans ce cas, le contact avec la lame sera légèrement plus doux.
Pour aiguiser votre lame, il faut frotter fermement chaque côté du tranchant de l’objet à affûter, tout en déplaçant la pierre sur toute la longueur.
La pierre peut laisser un petit dépôt sur la lame, il suffit de nettoyer la lame à l’eau pour que ces poussières disparaissent.
Une pierre à aiguiser ne nécessite aucun entretien particulier.
Une fois son utilisation terminée, il faut simplement la passer sous l’eau (sans aucun détergent) pour enlever la poussière de pierre et la limaille de l’acier et ainsi éviter son encrassement.
Laissez la sécher naturellement puis rangez là dans son étui et dans un tiroir.
Sa durée de vie est illimitée, elle est inusable.
Cependant, il faut veiller à ne pas la laisser tomber car elle peut facilement se casser.
Mon Carnet de Notes
La pierre à aiguiser des Pyrénées – 09400 Saurat. Tel : 04 73 80 37 06 ou 06 75 39 10 91https://pierre-a-aiguiser-naturelle.com/ Email : pierreaaiguiser@orange.fr
Ce reportage a été réalisé grâce à www.ariegepyrenees.com .
Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/
Vous aimez mon travail ? Permettez-moi de vous prévenir des prochaines parutions.
Magnifique, l’art chez l’artisan!!!!!! Bravo pour votre travail de présentation
Tu nous épates toujours chère Bérengère avec tes trouvailles d’artisans en voie de disparition ! Bravo. Ai hâte d’avoir d’autres curiosités à lire… bien à toi
Comme tu peux imaginer, je suis scotchée par ce reportage, la beauté des pierres et ton approche de ce matériau.
J’irais bien visiter la carrière, un jour. Merci !
Passionnant !!!!!!! J’aimerais beaucoup m’y rendre ! Merci Bérengère pour ce joli début de week end ! Biz
Encore un magnifique reportage, quelque-chose que l’on connait , mais dont on ne connait pas l’histoire ! voilà qui est fait et tellement bien !! comme d’habitude !
Merci pour la diversité de vos reportages, celui-ci n’est sûrement pas le plus simple, vu le site, les lieux, les conditions de travail et d’extraction, mais je l’ai trouvé passionnant, moi qui me bagarre constamment non pas avec mes couteaux, que j’aiguise moi-même, mais mes outils de jardinage, mes sécateurs, certains outils d’encadrement et de restauration comme les fers à « reparer » pour refaire les ciselures des moulures que l’on restaure ou des inclinaisons à 45° parfaites!! quel boulot! C’était génial!
merci infiniment pour ce reportage passionnant !
Photos magnifiques sur un sujet très original.
La liste d’endroits à visiter grâce à ces reportages va me necessiter plusieurs vies….
Merci de nous faire partager et connaître.
Merci Bérengère pour ce nouveau reportage tout à fait inattendu ! Voilà bien un entêtement qui a finalement donné à une entreprise le sursaut pour ne pas mourir… Merci à vous !
merci pour la qualité de ce reportage
suite a votre reportage , je connais très bien cet atelier pour y être allé régulièrement voir Mr cuminetti et non cometti comme vous dites .j’ai aussi discute avec mr cuminetti a l’époque de la vente prévu quand il a pris sa retraite et son épouse a pris la gérance pour qu’il continue encore quelques années qus’que a la vente finale . lors de cette vente le stock de pierre etait tellement important qu’il y en avait pour des années de pierres .la pierre a ongles existait déjà du temps de mr cuminetti , et pour preuve j’en ai encore de toutes sortes de cette époque. depuis la vente je suis allé quelques fois et j’ai pas eu la chance de voir le repreneur pour éventuellement lui acheter un laguiole de Thiers pour ajouter a ceux que j’avais acheté a Mr cuminetti.
Bonjour, Merci d’avoir noté ma coquille.;-) Il est probable que la pierre à ongles que vous connaissait n’est pas celle en forme de lime à ongles et dans un petit étui qui est une création de Mr Soucille. Vous parlez de celle qui est dans le coffret en bois d’une forme plus allongée et sans étui, plus difficile à transporter avec soi. La nouvelle création de Alain Soucille permet de l’avoir toujours avec soi. Cordialement,Bérengère
Bonjour Bérengère
Votre publication est intéressante, merci.
Une petite remarque toutefois, de détail certes, mais qui est importante quand on aborde ce sujet : contrairement à ce que vous affirmez au début de votre article, « aiguiser » et « affûter » ne sont pas synonymes !
je vais y repasser pour voir le nouveau repreneur et peut etre faire de nouveaux achats
Je découvre votre travail avec un grand plaisir. Mots, photos, récit…tout me semble choisi avec soin, nuance et intelligence dans ce reportage. Merci
Bravo Messieurs, je ne manquerai pas de vous rendre visite à Saurat, dès mon retour dans l’Ariège à Sinsat!
Bonjour,
Dans votre article, vous écrivez « ces carrières se situent dans les Vosges en Lorraine et dans les Pyrénées à Saurat « . Savez-vous s’il existe des artisants équivalents qui font des pierres à aiguiser dans les Vosges ?
Merci à vous
Fabien
Bonjour Fabien, La fabrique de Saurat est LA dernière fabrique de pierres à aiguiser naturelle de France. Il n’y en a plus aucune autre.
Je vous remercie beaucoup 🙂 Bérengère de nous avoir partagé vos connaissance ..
Namasté pour l achat de pierre comment faire
Bonjour il vous suffit de prendre contact avec l’atelier de fabrication dont les coordonnées sont en bas de ce reportage dans le carnet de notes. Cordialement, Bérengère
Bonjour.
J’ai depuis longtemps une collection de pierres de saurât.
Je les conservent avec grand soins.
Je les recommande à mes Amis.
Rien à voir avec les pierres des grandes surfaces.
Et pour finir j’ai une pierre qui vient de mon grand Père. Pour ma part j’ai dépassé les 81 ans