Né, avec la domestication des animaux, il y a environ 10 000 ans, le pastoralisme dans l’Ariège présente le triptyque « montagne, homme, animal » comme un pilier de la culture, de l’économie et de l’écosystème Pyrénéen. Après un déclin issu de l’exode rural et de l’agriculture industrielle, le pastoralisme trouve un nouveau souffle devenant un des attraits touristique de cette région aux montagnes abruptes et généreuses à la fois où l’élevage ne fût jamais intensif ou industrielle. Ainsi, la transhumance est l’une de ses spécificités. Curieuse de cette authenticité, je suis allée à la rencontre des hommes et des animaux qui renouvellent cette tradition. Pour ce voyage en ce territoire aux vallées parfois très enclavées, aux montagnes escarpées, j’ai privilégié le plateau de Beille et le site des Granges du Goutet offrant tous deux un paysage spécifique et pour le second un patrimoine architectural original et remarquable.
La transhumance en quelques mots…
La transhumance est le fait d’emmener des animaux domestiques passer l’été en estive, c’est-à-dire de les emmener de la plaine à la haute montagne et inversement, au début de l’automne, de les descendre de la haute montagne à la plaine.
Pendant ces mois d’été, les troupeaux de brebis, chèvres, vaches et chevaux profitent d’herbages de qualité supérieure tout en soulageant les exploitations agricoles.
Héritier d’une tradition qui perdura jusqu’au premières heures de l’industrialisation de l’agriculture au milieu du XXe siècle, le principe de la transhumance permettait un équilibre écologique tenant compte des cycles saisonniers et des contraintes climatiques.
Au milieu du XXe siècle, les vaches à traire représentaient l’essentiel de l’estive.
Sur les hauteurs, en plus de s’occuper des troupeaux, les bergers fabriquaient le fromage, cela se faisait dans les cabanes d’estives qui pouvaient accueillir de 6 à 14 personnes dans des organisations collectives très élaborées.
Des brebis pouvaient, aussi, monter dans les zones inaccessibles aux bovins.
Ce système, hérité du Moyen-âge, a perduré jusqu’au début du XXe siècle, période où l’on vit petit à petit l’industrialisation de l’agriculture et la désertification des campagnes désorganiser cette pratique.
En Ariège, une tradition bien vivante
L’Ariège, dont les montagnes splendides et rugueuses ont la réputation d’être les terres les plus sauvages de toute la chaîne des Pyrénées françaises, a particulièrement préservé ses traditions et son authenticité malgré les grandes modifications vécues dans toute la France rurale.
Une grande partie de son territoire est un Parc Naturel Régional depuis 2009, la variété de la faune et de la flore y est exceptionnelle et la transhumance, une pratique très active.
Dans ce pastoralisme particulièrement dynamique, des associations d’éleveurs se créent sur des bases nouvelles, employant des bergers et des vachers qui sont alors salariés pour s’occuper des troupeaux en montagnes.
En 2020, le département recensait plus de 45 000 ovins et plus de 11 000 bovins en estive.
Près de 500 élevages étaient donc concernés par cette grande transhumance sur 100 000 hectares de moyenne et haute montagne.
Ce nouveau pastoralisme implique, non seulement éleveurs et pâtres mais, aussi propriétaires fonciers, chasseurs, les randonneurs et forestiers… ce qui n’est pas sans poser des problèmes de cohabitations plus ou moins bien réglés.
Aussi, pour se faire mieux comprendre dans leur pratique, certains bergers font de l’accueil du quidam en estive pour expliquer leur métier depuis leur expérience vécue et sa réalité.
Rencontre avec Philippe Lacube, éleveur
Un matin de septembre, à mi-chemin entre Tarascon et Ax-les-Thermes, dans les vallées d’Ax, depuis le village Les Cabannes, je montais à 1800 m d’altitude en compagnie de Philippe Lacube éleveur, restaurateur et entrepreneur. Nous nous dirigeâmes vers le plateau de Beille où se trouvaient ses vaches. Ayant beaucoup voyagé et vécu à l’étranger, Philippe est revenu, par choix, vivre dans l’Ariège de ses origines avec la volonté passionnée de démontrer par l’exemple la viabilité d’une économie vertueuse tout en créant de l’emploi local avec pour objectif de transmettre la culture agro-pastorale pyrénéenne au public et, tout particulièrement, aux jeunes générations.
Arrivée sur le plateau de Beille, dans l’air bien frais de ce matin de fin d’été, je découvris quelques unes de ses quatre-vingt vaches gasconnes.
Très bien adaptée au relief Ariégeois, cette vache à la robe grise supporte parfaitement les amplitudes thermiques et l’alternance de régimes alimentaires différents.
Par ailleurs, ses performances de reproduction et de qualité d’élevages sont élevées.
Acquise aux fils des siècles, sa rusticité exceptionnelle lui permet de produire une viande de qualité…que je savourerais quelques heures plus tard en m’installant à la table du restaurant de la Maison Lacube.
Ce restaurant-boutique a une double vocation, gustative et patrimoniale, et pour le client qui ne connaîtrait pas l’aventure du lieu, les employés expliquent en détail la provenance de la viande que l’on déguste, ensuite, en connaissance.
La transhumance du Prince Noir de l’Ariège
Toujours sur le beau et âpre plateau de Beille, je rencontrais aussi, Yves Rauzy éleveur du Prince Noir de l’Ariège, le cheval de Mérens.
Ce petit cheval des montagnes Ariégeoises a depuis toujours été le compagnon des « Montagnols » (agriculteurs de montagne).
Bien plutôt dans la préhistoire, on note sa trace dans les grottes Paléolithiques de Niaux où plusieurs peintures Magdaléniennes représentent des têtes et des corps de chevaux rappelant de façon surprenante les traits spécifiques de la race de Mérens.
Sa sobriété et son endurance en ont fait un compagnon idéal pour les soldats, il est ainsi cité lors de la campagne de Russie.
Plus proche de nous, on le voit dans les travaux des champs et sur des terrains très pentus où sa souplesse et son adresse font merveille.
Polyvalent, doux, généreux, dévoué et volontaire, ce poney Ariégeois sait tout faire et par tous les temps : dressage, attelage, trek, endurance…
La vie en troupeau lui donne ce bel équilibre mental qui le caractérise et en fait un cheval de selle et de trait léger apprécié depuis des siècles.
Et tout en photographiant le bel animal, je le découvrais aussi joueur, quand l’un d’eux me poussa d’un coup de tête sans violence dans le dos et me propulsa dans les fougères.
Être pâtre, tout un métier
Dans ce grand mouvement de valorisation du pastoralisme en France, et tout particulièrement dans les Pyrénées Ariègeoises, le centre de formation officielle de Saint Girons (CFPPA Ariège Comminges à Pamiers) au métier de pâtre est un élément essentiel.
Nombreux sont les bergers et vachers qui sortent de ce lieu.
Leur formation achevée, le statut de ces pâtres est variable, certains sont prestataires de services, d’autres entrepreneurs d’estives ou encore salariés.
Ce travail saisonnier dure de 4 à 5 mois avec des horaires allant de 5 h à 22h.
Le pâtre garde, surveille, protège et soigne les animaux dont il a la charge.
Il doit, par ailleurs, entretenir voire améliorer l’estive et tenter une gestion en accord avec l’écosystème.
Le troupeau du pâtre peut être collectif comprenant des brebis, des vaches et des chevaux et appartenant à plusieurs éleveurs issu d’un même Groupement Pastoral (nom donné aux associations d’éleveurs).
Petit portrait du patou
Le pâtre est assisté dans ses travaux par un ou plusieurs chiens qu’il a, en général, dressé lui-même : un chien de travail et un chien de garde.
En Ariège, il devient à nouveau courant de rencontrer le Montagne des Pyrénées dit le pastou ou patou assurant la protection du troupeau et pour cela vivant, dormant et mangeant avec le troupeau.
Il est le plus ancien auxiliaire du berger et, à ce titre, fait partie du patrimoine montagnard.
Ayant disparu tout au long du XXe siècle, en parallèle à la raréfaction des grands prédateurs : loups, ours, lynx, la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées Centrales a suscité un regain d’intérêt pour ses aptitudes.
Son arme étant principalement la dissuasion, de part sa grande taille et sa présence, il décourage déjà de nombreuses agressions de prédateurs.
Marchant la plupart du temps en tête de troupeau, le patou inspecte le terrain avant l’arrivée des brebis puis crée autour du troupeau, une zone de protection.
Gros chien blanc de mine sympathique, il prend sa tâche très au sérieux, aussi s’il aboie vers le promeneur que celui-ci reste calme, sans menace qu’il se laisse tranquillement renifler.
Car, reconnaissant l’humain, le patou s’en retournera rassuré vers son troupeau.
Les Granges du Goutet, vivant témoignage d’un art de vivre pastoral ancestral
A 1400 m d’altitude sur le contrefort du Massif des Trois Seigneurs, sur les hauteurs de Massat au lieu d’estive les Granges du Goutet, je fis la connaissance de Estelle pâtre de son état et s’occupant, ici, de vaches et de brebis. Le terme mouton étant réservé aux mâles châtrés de plus d’un an, les brebis sont des femelles adultes faisant la grosse majorité du troupeau d’ovins. Ces brebis sont de races Tarasconnaises et Castillonnaises,
Cette montagne d’estive possède un véritable charme original avec ses granges-étables d’altitude dites bourdaous regroupées en courtals ou petits hameaux uniquement dédiés au pastoralisme. En ces groupements de cabanes, l’orri est un abri où le berger vivait pendant les mois d’estives. Entièrement en pierre sèche sans mortier, avec une voûte en tas de charge, et enfoui dans la végétation, il a tout d’une habitation de nain ou de hobbit. Il servait de gîte au pâtre qui y fabriquait aussi du fromage et accueillait les brebis et les chèvres pour la traite.
Si les locataires de ces courtals sont maintenant, uniquement, des brebis profitant des verts et généreux pâturages de ce site escarpé, ces orris, mazucs (orri de petite taille), granges construites en batière, sauvés de l’abandon et préservés, témoignent de tout un patrimoine architectural pittoresque et précieux, vivant témoignage d’un art de vivre pastoral ancestral. J’y passais quelques heures particulièrement savoureuses entre pique-nique de spécialités du terroir et temps de photographies au milieu de l’estive.
La descente de l’estive…
A la fin de l’été, si la météo est fraîche ou pluvieuse, les bêtes cherchent à descendre vers la plaine et des températures plus douces, il est parfois difficile de les contenir. Mais, vient, enfin, le moment où le berger rassemble brebis et vaches sous sa responsabilité et descend son troupeau dans un tintamarre de clarines, de cloches, les bourroumbes, se balançant au cou des béliers et des vaches. Après les avoir triées, l’éleveur les vend en grande partie à la foire où les gens de la montagne (éleveurs, bergers etc) se retrouvent tous et font la fête. A Vicdessos, la foire de Saint Mathieu est une tradition qui se poursuit depuis 1324. Depuis deux ans, nous la retrouvons à Auzat et j’y croisais outre les éleveurs et les bergers, des amateurs de tradition, de productions locales ou de simples curieux. Nous étions tous les bienvenus autour des grandes tablées. Quelle belle et joyeuse journée !
Mon Carnet de Notes
A faire
Rencontrer l’éleveur et restaurateur Philippe Lacube et partir avec lui en balade sur le plateau de Beille à 1800 m. Découvrir son métier, son troupeau, l’environnement dans lequel vivent ses gasconnes, le mode de production. Puis redescendre au village Les Cabannes et déjeuner dans son restaurant de terroir Maison Lacube pour savourer une viande d’une saveur remarquable enrichie de bel air et de bonne nature. Maison Lacube – 3 place des Platnaes – 09310 Les Cabannes. Tel 05 34 09 09 09 – www.lamaisonlacube.com bonjour@lamaisonlacube.com
Se promener sur le dos du Prince Noir de l’Ariège et mettre dans sa besace de vie un joli souvenir de complicité avec le cheval de Mérens. Promenades intimistes (pas plus de cinq cavaliers) et sur mesure, allant de 2 heures à 3 heures en fonction du niveau des cavaliers. Beille à cheval- Angaka – Plateau de Beille- 09310 Les Cabannes – contact@angaka.com – 06 45 79 12 77 ou 05 61 01 75 60 – www.angaka.com
Se délecter de la rugueuse poésie des Granges du Goutet sur les hauteurs de Massat, à 1400 m d’altitude sur le contrefort du Massif des Trois Seigneurs. A la sortie de Massat, prendre à droite la D18 en direction du Port de Lers. Traverser le village du Port et prendre à gauche après le cimetière la D818 jusqu’au village du Carol. Il est préférable de laisser la voiture au lieu-dit « la Foulie », un hameau situé dans un virage en aval du Carol (700 m). Rejoindre le village à pied par la route avant d’emprunter le sentier menant à Goutet.
Dormir dans un orri. Restaurés dans le respect du bâti, ils sont dispersés sur tout le territoire des Pyrénées Ariégeoises, notamment, au Carla à Auzat, aux Granges de Goutet, au Courtal de Peyre Auselère non loin de l’étang de Lers… Mais, on peut aussi y dormir comme à l’auberge de la Sapinière à 1249m d’altitude au col de Port, à 18 km de Tarascon sur Ariège. Par ailleurs, la table d’hôtes propose une cuisine du pays. L’Auberge de la sapinière – Col de Port – 09400 Saurat – Tel 05 61 05 67 90
Faire les foires automnales : La plus ancienne et l’une des plus authentiques, celle de la St Mathieu existant depuis 1324 a lieu traditionnellement le 21 septembre et depuis deux ans à Auzat. Vente de brebis, rencontres entre éleveurs, bergers, amateurs de productions locales, grandes tablées où tout le monde est bienvenu. Tel 05 61 64 88 47
1et 2 octobre. Foire de la Saint Michel à Tarascon-sur-Ariège. Tel 05 34 09 88 88
1er octobre. Foire « Descente de la montagne » au village de Sentein dans le Couserans. Avec un joli programme qui commence dès 7 heures du matin avec la foire aux bestiaux, un marché, un vide grenier, une exposition de matériel agricole et une démonstration de chiens de berger. L’apéritif est offert par la municipalité et le repas a lieu sous le chapiteau de la place du Naut Aran sur réservation. Pour ceux que la fin de la fête déprime, à 19h, la soirée « tapas couserannaises » prend le relais – Tel 05 61 96 72 64 – 06 71 29 16 63 – www.transhumances-biros.fr
22 octobre. Foire de la Saint Luc à Seix : présentation des cheptels de bovins et d’équins, estimation des chevaux de Mérens et de Comtois, productions locales, rencontres entre éleveurs, bergers. Tel 05 61 66 83 55- Place de l’allée – 09140 Seix
30 octobre. Grande foire de l’automne au village d’Ercé avec, là aussi, vide grenier, marché de produits artisanaux, courses de cochons, de brouettes… animations… ventes et exposition de bovins, défilé de vieux tracteurs, restauration… – village d’Ercé – 09140 – Ercé Tel 05 61 66 86 00 – mairie-erce@wanadoo.fr
Ce reportage a été réalisé grâce à www.ariegepyrenees.com.
Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/
Vous aimez mon travail ? Permettez-moi de vous prévenir des prochaines parutions.
Joli reportage agrémenté de belles photos.
Merci
bonjour , j’adore la transhumance en plus mon fils aîné a habitée Massat …joli petit village et maintenant il ait à Mazères . merci pour ces belles photos ♥ ♥
Vive la rentrée car les reportages de Bérengère reprennent !!!!!!!!! Merci pour ce joli voyage (qui met aussi en appétit !). Très bon week end.
Je t’embrasse.
Magnifique reportage très intéressant..
Superbe reportage qui nous invite à grimper plus haut et donc aussi voir plus loin, respirer plus fort la beauté des lieux et des êtres qui les habitent.
Merci vous me donnez envie d y retourner !
Très beau reportage comme toujours. Bien documenté et avec les liens permettant de découvrir les lieux.
Merci.
Très beau reportage, cela donne envie daller voir toutes ces belles montagnes sûrement début octobre
merci bérengère ! c’est magnifique
Merci pour ce très beau reportage.
Monique de Couville