Colette, grande amoureuse de Dame Nature, nostalgique à jamais du premier de ses jardins celui de son enfance, émerveillée toujours par la moindre fleur à peine éclose, par la grâce de quelques herbes sauvages ou odorantes assemblées en un bref petit bouquet, fille de celle dont elle nous narra souvent toute l’empreinte reçue, ressentie, aimée et qui l’autorisait dans son enfance à se lever parfois dès quatre heures du matin pour voir la nature se réveiller, Colette devait évidemment générer un jardin.
Du propos des Jardins de Colette
Cette évidence suspendue dans les airs choisit un jour de s’incarner grâce au souhait de l’un des maires de Varetz, en Corrèze, non loin de Castel-Novel où Colette vécut avec son deuxième époux Henry de Jouvenel.
Le projet fût confié à Anouck Debarre, architecte paysagiste, qui imagina un jardin en six jardins mêlant fleurs, jeux et mots, évoquant chacune des six régions où l’écrivaine vécut.
Les premières plantations furent réalisées en 2007 sur cinq hectares situés à proximité du château de Castel-Novel et Les Jardins de Colette ouvrirent en 2008.
Propriété de la Communauté d’Agglomération du Bassin de Brive, ces jardins ont été financés par l’Etat, le Conseil Général de la Corrèze, la région Limousin et la Communauté d’Agglomération du Bassin de Brive.
Leur gestion a été confiée à la SPL Brive Tourisme Agglomération et j’y arrivais un matin de plein été, le plus tôt possible afin, moi aussi, non pas de voir la nature se réveiller – j’arrivais tout de même trop tard pour cela – mais de sentir tous les charmes d’un jardin qui s’éveille et qui, un peu plus tard, accueillera ses visiteurs.
Sentir le frôlement du bonheur dans un jardin
J’aime ces heures matinales pour me promener lentement et longuement dans un jardin paysager.
Ce temps que je prends pour m’en imprégner, pour le ressentir en le parcourant à plusieurs reprises, me poser, saisir les premiers rayons du soleil dans un air toujours légèrement chargé d’un bleu de brume qui nimbe de beauté tout ce qu’il touche, ce temps m’est nécessaire, ce temps m’est bonheur.
En ces jardins de Colette, le bonheur était en surenchère puisque, tout en marchant lentement, en m’imprégnant, me revenait en mémoire des passages des œuvres de cette femme si singulière : «(…) Je ne verrai rien avant ma mort d’aussi beau que cette enfant interdite, qui avait envie de pleurer et tendait une rose. » D’elle, de moi, qui est donc le meilleur écrivain ?* s’interrogeait-elle dans La naissance du jour, le second livre que je lus d’elle, j’avais, je crois bien, quatorze ou quinze ans.
Ou encore : Dans une heure, le bleu aura vaincu le violet, apaisé ce tremblement glacé qui se saisit des feuilles, couche les tamaris et les poivriers pleureurs. que je relis au cœur du très beau Prisons et paradis.*
Et puis, du bleu, ici, encore, ce bleu tant aimé de Colette, le bleu de son papier, le bleu de son fanal, le bleu des yeux de Vinca la jeune héroïne du Blé en Herbe : Mais un creux de dune entre la villa et la mer, empli jusqu’aux bords de chardons des sables, bleus dans leur fleur, mauves au long de leur tige cassante, méritait de s’appeler « Le miroir des yeux de Vinca ».* Ce bleu que je retrouve dans les mosaïques essaimées dans ces jardins.
Du jardin de l’enfance à celui de la jeune femme
En ces jardins contemporains, une glycine a été plantée en référence à la fameuse glycine centenaire brandissant de ses bras invincibles une certaine grille tordue qui aurait dû protéger les deux jardins qui firent l’enfance de Gabrielle-Sidonie Colette en Bourgogne à Saint-Sauveur.
L’évocation du Jardin-du-Haut et du Jardin-du-Bas se retrouve dans le premier des six jardins.
La haie de charmes symbolise le cocon familial, les roses que Sido la mère de Colette adorait sont très présentes, l’on retrouve aussi des fleurs douces comme la Perovskia atriplicifolia ou lavande d’Afghanistan, une vivace à fleurs bleues et, bien entendu le Jardin-du-Haut « commande » au Jardin-du-Bas en un potager mêlant fleurs, fruits, légumes, herbes aromatiques en regard d’un jardin botanique.
En ces jardins à vertus pédagogiques, le visiteur peut toucher les plantes et les sentir.
Il peut aussi y jouer comme dans le labyrinthe en forme de papillon réalisé en hommage à la passion que Colette avait pour ces lépidoptères qu’elle collectionnait ou comme dans la cour d’école créée plus récemment en 2015-2016, en clin d’œil à Claudine à l’école.
Ce premier roman intégralement écrit par Colette fut signé du seul nom de son mari Henry Gauthier-Villars, surnommé Willy.
Le succès des « Claudine » permettra à Willy d’acquérir le domaine de Monts-Boucons en Franche-Comté.
La cour d’école nous mène très simplement vers le deuxième jardin évoquant la belle maison qu’aima beaucoup Colette en cette région et où elle se rendait avec Toby-Chien et Kiki-la-Doucette son chat.
Un gros bois de feuillus, d’épicéas et de conifères où je croise un abri à insectes pollinisateurs et où je découvre un cyprès chauve, très doux au toucher car perdant ses aiguilles, il n’a guère le temps de vieillir et donc…de piquer !
Six jardins comme six vies
Après sa séparation d’avec Willy, Colette devint mime et se produisit dans différents théâtres et music-hall.
Elle rencontra alors la marquise Mathilde de Morny dite Missy, devenant sa compagne dans la vie mais aussi sur scène. Elles firent scandale en jouant au Moulin Rouge où elles échangèrent un long baiser.
En 1906, Missy leur acheta le manoir de Rozven près de Saint Malo.
Et ainsi, le troisième jardin se charge de la poésie des bords des dunes, ces stipa tels des cheveux d’ange emperlés de rosée faisant face à un petit champ de chardons bleus, de bruyères et d’oreilles d’ours enceint de rochers en murets. Je veux que vous voyiez Rozven, (…) On pêche les homards d’un bleu vif et des crevettes en agate, et des crabes qui ont le dos en velours de laine.*
Un chemin y est d’ardoise, j’y trouve une gloriette en osier et une plantation de saules à même de faire justement de l’osier si présent dans la région au début du XXe siècle.
Ce jardin est l’un des plus ludiques avec sa forêt à grelots, son croquet géant, et son poulailler, en référence à Colette-Renée surnommée Bel-Gazou, la fille de Colette et Henry de Jouvenel des Ursins.
L’enfant naquit en 1913 et passa l’essentiel de son enfance à Castel-Novel avec sa nurse Miss Draper, fréquentant l’école primaire de Varetz où se situe, aujourd’hui, Les jardins de Colette.
Colette, la femme aux sept vies comme ses chats tant aimés, avait embrassé une énième nouvelle vie avec tout ensemble bien mêlé, une carrière de journaliste, un époux de rédacteur en chef du Matin, et l’écriture de ses livres.
L’un et l’autre étaient peu présents pour leur fille et Bel-Gazou avait une place bien plus privilégiée dans les pages exquises écrites sur elle par sa mère que dans la vie de celle-ci.
Bel-Gazou resta très attachée à la Corrèze et vint s’y réfugier en juin 1940.
Profondément engagée, elle fit de la résistance de façon très active depuis Curemonte où elle vivait désormais.
Cette femme passionnante et émouvante devint journaliste, défendit l’égalité des sexes réclamant un statut plus juste pour les femmes dès 1945. Son souvenir reste important en Corrèze.
Colette, l’amoureuse émerveillée des jardins
Mais, revenons à sa mère qui divorça du bel Henry de Jouvenel en 1923, dans la foulée, vendit son manoir de Rozven et acheta dès 1926, la Treille Muscate au jardin comme un grill à côtelette* à Saint Tropez.
Une vigne nous mène jusqu’à cette nouvelle région représentée. Seule, dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligible ce qu’est la véritable saveur de la terre. (…) Elle ressent, elle exprime par grappe les secrets du sol.
Dans ce cinquième jardin, j’y découvre la chambre à dormir dehors où l’écrivaine, se laissant envahir par la nuit tombant, retrouvais certainement ce violet comme une sombre aurore. Ce violet impossible à peindre, insinué entre le jour et la chaude nuit, met fin quotidiennement à la fête méridionale.*
Ce jardin provençal est le plus coloré des six créations paysagères, en hommage à l’étonnement de Colette, à son émerveillement devrais-je plutôt dire, face à la couleur princière dans cette région. Je sais maintenant ce qu’est le jardin provençal : c’est le jardin qui n’a besoin, pour surpasser tous les autres, que de fleurir en Provence.*
Elle y vécut de délicieux moments avec son troisième et dernier mari Maurice Goudeket.
Enfin, tout en suivant une allée de tilleuls, un miroir arrondi, quelques tables au dessin tout à fait reconnaissable et des rosiers, bien évidemment, me proposent une évocation du dernier jardin de la vagabonde, le sixième.
Car une compagne indésirable, l’arthrose, contraignit Colette à s’installer définitivement au Palais-Royal à Paris dès 1938.
L’écrivaine contemplait de sa fenêtre le jardin à la française de ce cœur de Paris, type de jardin que pourtant elle n’aimait guère, préférant la nature qui pousse librement.
Etait-ce une ironie des jardins, un grand trait d’humour de la vie ? Pourtant, Amoureuse éternelle des jardins, elle en apprécia très vite tout le charme incontestable… Mon premier matin de Palais-Royal fut, paupières encore fermées, l’illusion d’un beau matin de campagne, car sous ma fenêtre cheminaient ensemble un râteau de jardinier, le vent courant d’ouest en est dans les feuillages, et cette liquide gorgée qui monte et qui descend dans le cou sonore des pigeons…*
*Toutes les citations et mots en italique sont extraits de livres de Colette dont vous retrouvez les titres ci-dessous dans mon Carnet de Notes
Mon Carnet de Notes
Visiter en flânant, jouant, relisant Colette
Les Jardins de Colette et son labyrinthe – La Chassage – 19240 Varetz – 05 55 86 75 35 – email : info@lesjardinsdecolette.com – https://www.lesjardinsdecolette.com/. Il faut compter une heure pour la visite des jardins et 45 mn à une heure pour le labyrinthe de 5000 m2, tout ceci sans compter les jeux géants. Fermeture le dimanche 6 novembre 2022.
Vous pouvez profiter du salon de thé et vous acheter les exemplaires manquants à votre bibliothèque des ouvrages de Colette dans la boutique des Jardins.
A faire en 2022 aux Jardins de Colette
Ecouter l’oeuvre de Camille Saint-Saëns « Le carnaval des animaux » mais aussi le « Prélude à l’après-midi d’un faune » de Debussy et la « Carmen Fantaisie » de Bizet jouées le mercredi 20 juillet à 20h par le duo Jatékok et Alex Vizorek durant le Festival de la Vézère. A la suite de ce concert, il est possible de dîner au Château de Castel Novel juste à côté.
Participer au jeu d’enquête « Portail magique » animée par la Gaillard Académie à partir de 19h le mercredi 27 juillet.
Vivre un concert/pique-nique dans le parc illuminé aux bougies les mercredis 3, 10, 17 août. Le concert a lieu de 19h à 20h30 sa thématique très jazzy est différente chaque soir, vous apportez votre pique-nique pour le déguster en musique puis vous déambulez librement dans les jardins illuminés de 20h30 à 22h. Le Labyrinthe ne pouvant être éclairé n’est pas accessible. Par contre, il est possible de venir plus tôt pour s’y amuser avant le début des concerts. Sa déambulation dure entre 45 mn à 1 h.
Suivre les visites guidées sur le thème « Patrimoine durable » le samedi 17 septembre et le dimanche 18 septembre à 11h, 15h et 16h.
Fêter Halloween en assistant au nocturne dans le Labyrinthe : « Où est Alice? », le vendredi 28 octobre et le samedi 29 octobre.
A lire et relire
Avant pendant et après la visite, ces titres de Colette qui ont inspiré l’architecte paysagiste Anouck Debarre pour la réalisation de ces Jardins de Colette et que vous trouverez facilement dans la boutique des Jardins. La majorité de ces livres se trouvent facilement en format de poche : La maison de Claudine – Claudine à l’école – Le blé en herbe – Lettres de la vagabonde – Paysages et portraits – Lettres à Hélène Picard – Lettres à Marguerite Moreno – Prisons et Paradis – Mes vérités –Trois, six, neuf – Pour un herbier.
Ce reportage a été réalisé grâce à Brive Tourisme https://www.brive-tourisme.com/fr/ et Corrèze Tourisme https://www.tourismecorreze.com/fr
(Je vous souhaite un très bel été et vous retrouverez le 10 septembre.)
Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/
Vous aimez mon travail ? Permettez-moi de vous prévenir des prochaines parutions.
Magnifique, comme toujours ! Merci et trèsbel étéàvous aussi.
On en hume les senteurs frémissantes par ta plume chère Bérengère. Bravo encore une fois
Les jardins des merveilles ! Très belles photos avec un style raffiné et très sensible : merci Fée Bérengère ! Et joli week end. Biz
Un très beau reportage qui confirme le savoir-faire et la sensibilité de notre envoyé spécial.
Bonne continuation Bérengère.
Quelle paix ds ce jardin et la Corrèze chère à mon cœur.
Merci beaucoup
Merci magnifique comme tjr et ça nous fait connaître des régions que nous ne connaissons pas .
Voilà qui me donne le plus grand désir de découvrir ces jardins et me replonge dans l’univers de Colette dont j’ai visité il y a déjà plusieurs années la maison à Saint Sauveur. La Corrèze n’est pas bien loin de notre maison du Périgord. Alors, un projet se dessine… mais peut-être avant tout la relire en imaginant les lieux et les odeurs. Ah! L’amour des jardins,… Merci Bérengère, pour ce superbe voyage en mots et en images!
Superbe voyage Bérangère ,merci pour cette belle découverte Jean Philippe
très belle visite et beaux récits. merci beaucoup
magnifique et reposant