Pour les amoureux de la dentelle, mais aussi de l’artisanat d’art ou du patrimoine, une visite à la Maison des dentelles à Argentan est source d’émerveillements, de richesse… et de surprise. Celle de découvrir que deux des dentelles les plus prestigieuses de France ne sont guère si différentes, ni si distinctes qu’on l’a cru pendant des décennies… La dentelle au Point d’Argentan et la dentelle au Point d’Alençon sont bien plus que cousine ou sœur, elles se fondent, s’épousent, s’utilisent l’une et l’autre par les mouvements naturellement humains et non figés de la pratique de la dentelle à l’aiguille chez les dentellières

Moi, la première, je le reconnais, dans mon ouvrage sur La dentelle d’Alençon paru aux éditions de Saxe en 2012, tout en vous traçant un portrait de la dentelle au Point d’Alençon, je mentionnais la dentelle au Point d’Argentan comme une parente du Point d’Alençon, une parente par le travail à l’aiguille et par certains éléments propre aux deux dentelles mais je la citais tout de même comme étant bien distincte de sa voisine. Ce qui n’est pas le cas.

Voici pour mémoire ce que j’en écrivais : Le point d’Argentan est une dentelle exécutée à l’aiguille et avec du fil de lin très fin comme la dentelle d’Alençon. Le Point d’Alençon créé par Marthe La Perrière se répand à Argentan vers les années 1665 après sa création à Alençon. Dans le même temps, Madame Raffy qui dirige la manufacture du point de France à Alençon dirige aussi les ouvrières d’Argentan travaillant pareillement le point de France. Si une fabrique du Point d’Alençon se maintient après la fermeture de la Manufacture Royale en 1675, il semble qu’il n’en soit pas ainsi pour Argentan dont on ne fait plus véritablement mention avant le début du XVIIIe siècle. A partir de ce moment, une dentelle est réalisée qui tient du point de France, du point d’Angleterre et du Point d’Alençon. Son réseau à mailles boutonnières hexagonales oppose souvent la taille de ses mailles qui est plus ou moins importante en fonction de l’effet recherché. Elle possède aussi une création qui lui appartient au propre : la bride tortillée. Celle-ci semble être utilisée plus tard à Alençon. Soit en étant réalisée par des ouvrières alençonnaises soit par des ouvrières argentanaises sur de futures pièces de dentelle d’Alençon. De façon générale, cette dentelle a un réel succès pendant tout le XVIIIe siècle. Mais la Révolution sonne le glas de son existence. Une école dentellière créée en 1874 lui permet de renaître, et d’exister aujourd’hui encore grâce aux Bénédictines d’Argentan.

Des travaux de recherches et d’expertises menés conjointement par Magali Guillaumin, directrice du service patrimoine de la ville d’Argentan, et par le conservateur du musée des Beaux-Arts et de la dentelle à Alençon, Johanna Mauboussin ont permis de mettre à jour et de nommer plus justement une dentelle ornaise riche des deux susdites et de leurs modulations, variations, évolutions diverses.

Faisant suite au Musée des Beaux-arts et de la dentelle à Alençon, la jolie Maison des Dentelles d’Argentan a présenté sur toute l’année 2019, les aventures de ces dentelles à l’aiguille dont la différence n’est point technique, puisqu’il s’agit de deux dentelles à l’aiguille, mais se trouve au niveau des champs. Pour l’une, celle d’Argentan, un champ de brides au maillage souvent assez large et au motif bien identifié est sa particularité, pour l’autre, un champ de réseau lui confère son aspect vaporeux si reconnaissable.


Elles ont aussi en commun une histoire durant laquelle elles auront bien failli disparaître mais l’histoire du Point d’Argentan est, tout de même, moins connue. En 1830, ce Point est entrain de mourir car son savoir-faire se perd. Mais un homme, le maire d’Argentan le sauve, se rapprochant d’un certain Mr Lefébure qui emploie des dentellières. Ce dernier missionne sa meilleur ouvrière, Désirée Hamel et la charge de retrouver toutes les étapes de réalisation de ce Point si beau et complexe. Désirée démonte des dentelles pour comprendre leur fabrication et petit à petit reconstitue son processus de création. En 1874, est créée une école de dentelles chez les Bénédictines. En 1944, Argentan est bombardée, l’abbaye détruite, les religieuses se réfugient à Sées. Quand elles reviennent en 1968, elles ne relancent pas l’école de dentelles…

En parcourant les très intéressantes salles d’exposition de la Maison des Dentelles, je découvre, stupéfaite et émerveillée à la fois que dans une même dentelle, certains détails de la dentelle dite au point d’Argentan se retrouve dans celle dite au point d’Alençon et inversement, tant les imbrications, mariages, omissions, fusions passant par l’aiguille des dentellières sont finalement la preuve et la constatation qu’une pièce de dentelle est avant tout une œuvre unique…

…Et l’extraordinaire finesse, l’incroyable splendeur que je peux découvrir sur certaines dentelles au Point Argentan absolument dignes de rivaliser avec l’arachnéen Point d’Alençon, la découverte d’autres pièces impossibles à classer dans un camp ou dans l’autre, ou encore la vue des brides de l’une si fines qu’elles ressemblent au réseau de l’autre, m’ont parfaitement convaincue d’une parenté allant jusqu’à la gémellité entre ces deux dentelles. Miroir, mon beau miroir, dis moi qui est la plus belle… Le trouble est parfois total. J’en perds mon peu de connaissance et reprends à zéro ma compréhension de la dentelle à l’aiguille.

Mais cette Maison des Dentelles ne se contente pas de présenter et défendre ses deux dentelles stars. Officiellement créée en juin 2006, elle possède un fond de 1500 à 1600 dentelles présentant 76 à 80 dentelles différentes provenant d’une trentaine de pays. Au rez de chaussée des lieux, les expositions temporaires concernant les dentelles alternent avec des expositions d’art contemporain toujours en lien avec le fil. A l’étage, une exposition permanente met l’accent sur les dentelles normandes et tout particulièrement sur les dentelles ornaises rappelant les origines de la dentelle à l’aiguille avec le point de Venise (photo ci contre) et le point de France, présentant leurs aspects techniques et esthétiques, puis, offrant aux passionnés les évolutions contemporaines de ce patrimoine d’exception.

Ainsi la Maison s’ouvre à l’art contemporain et les expositions temporaires invitant différents artistes montrent à quel point ces techniques, ces arts trop souvent considérés comme désuets sont toujours un objet de fascination et une source de vitalité artistique. Le fil, les fibres, les textiles, la dentelle et toutes les techniques liées à ces matériaux ou à ces objets d’art inspirent aujourd’hui, encore et toujours, de nombreux artistes (ci-contre une oeuvre de Marjolaine Salvador-Morel) qui créent des œuvres pleines de délicatesse et de grâce, tels des gestes attestant de la renaissance sans fin du rapport de l’humain au fil, au textile, au geste de la main tenant l’aiguille…ou pas… et finalement réalisant toujours une sorte d’hommage conscient ou inconscient…


MON CARNET DE NOTES

Maison des Dentelles – 34 rue de la Noë – BP 60203 Argentan Cedex – 02 33 67 50 78 – maisondesdentelles@argentan.frwww.maison-des-dentelles.fr. Ouvert du 14 mars au 15 novembre 2020 – De mars à juin et de septembre à novembre du mardi au dimanche : 13h30 à 18h. – Juillet et Août du mardi au samedi : 10h-12h30/13h30-18h et le dimanche de 13h30 à 18h. – Fermé les lundis et les jours fériés (sauf les après-midis du 14 juillet et du 15 août.)

Démonstrations de dentellières d’Argentan tous les 1ers dimanches du mois.

Prochaines expositions temporaires :

NE PAS PIETINER : ESPACE NATUREL AU REPOS ! Une exposition des œuvres de l’artiste Armel Barraud qui travaille le fil de métal selon la technique de la dentelle aux fuseaux du Portugal. Du 14 mars au 15 novembre 2020.

DENTELLES 3D Une exposition des sculptures en filaments de bioplastique de l’artiste Violaine Sausset du 5 au 31 mai 2020. Rencontre avec l’artiste le samedi 16 mai de 21h à 23h

LES DENTELLES TURQUES. Une exposition présentant des dentelles confectionnées à l’aiguille, à la navette, au crochet ou à l’aiguille, par quelques argentaises d’origine turque. Du 27 juin au 20 septembre 2020.

NUIT EUROPEENNE DES MUSEES. Samedi 16 mai.

  • Illumination de la façade et « somnambulation » dans le musée. De 20h à minuit.
  • Rencontre avec l’artiste Violaine Sausset de 21h à 23h.
  • Visite commentée « Pour ceux qui ne font pas dans la dentelle ». à 21h, 22h et 23h.

Pour se loger à Argentan, je vous recommande L’hôtel de la Renaissance – 20 avenue de la 2e D.B – 61200 Argentan. Tel : 02 33 36 14 20. www.arnaudviel.com Vous pourrez ainsi, plus facilement, profiter de l’excellente table de Arnaud Viel qui propose, notamment le midi, un menu « Au jour, le jour » tout à fait accessible et permettant une rapide découverte de l’univers tout en harmonie et finesse de ce chef étoilé lors d’un déjeuner.

Ce reportage a été réalisé grâce à Tourisme 61 Conseil départemental de l’Orne – Hôtel du Département – 27 boulevard de Strasbourg –CS30528 – 61017 Alençon cedex. Tel : 02 33 28 88 71 www.ornetourisme.com tourisme61@orne.fr

Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/

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