A Montségur, dans le village en contre-bas du célèbre château Cathares, est une fée. Une fée fileuse, une fée tisseuse. Assise à son rouet, menue et toute de blanc vêtue, intemporelle, Annemie la fée file et tisse comme dans les contes de mon enfance. Et pourtant, rien n’est plus sérieux que ce travail au rouet et au métier à tisser que m’ont fait découvrir Annemie et Richard son époux.

Château de Montségur – aquarelle et encre de Chine Bérengère desmettre

Ces deux êtres lumineux, passionnés de beauté et d’harmonie mêlent en se complétant parfaitement leur amour, l’un pour le catharisme qui est à la base de ses recherches pédagogiques et historiques, l’autre pour le fil qu’elle découvre comme beaucoup vers la fin des années 60 et qu’elle retrouve avec une évidence émue au milieu des années 2000. Ensemble, ils ont créé Cœur de Tr’âme, une structure totalement mobile qui leur permet de présenter l’histoire et les techniques du tissage et son lien au catharisme, tout particulièrement sur la période du 13ème siècle. Cette centaine d’années est spécialement florissante à la fois pour les cathares bien que cela soit le début des persécutions à leur encontre, et pour le textile.

Ce siècle, sorte d’âge d’or du Moyen-Âge, voit naître de nombreuses innovations technologiques au niveau de la laine. Une véritable route de la laine est mise en place entre les différents pays d’Europe mêlant nécessairement importation et exportation puisque les laines sont de qualités différentes avec des rendus spécifiques et qu’il n’est guère possible de posséder toutes les variétés de moutons sur un même territoire. Par exemple, la laine de la Tarasconnaise, un mouton rustique des Pyrénées, est une laine marron ou blanche de qualité moyenne, quand la laine du Scottish Blackface, un mouton rustique écossais, possède une fibre longue écrue de qualité moyenne à fine et que le mouton Jacob offre une très belle laine tricolore…

Durant cette même période foisonnante du 13ème siècle, on invente la roue à filer, on sublime les apprêts qui sont mis sur le tissu tissé et qui lui permettent d’être particulièrement résistant, imperméable, ample ou souple en fonction de ce que l’on désire. On crée les corporations et les centres textiles que l’on retrouve dans les Flandres, en Angleterre, en Champagne, dans la région Lyonnaise, la Catalogne et le Languedoc, l’Espagne et l’Italie.

Désormais, le tisserand travaille pour le drapier et l’on peut suivre la traçabilité d’un textile grâce à la mise en place de sceaux, gages de la qualité du tissu. Les morceaux de laine sont déjà échantillonnés et agrafés sur des catalogues et j’ai immédiatement pensé aux catalogues des laines Phildar que j’ai caressé et regardé pendant des heures lorsque j’étais enfant !

Le 19ème siècle mécanisera le tout et fera quelques améliorations techniques mais sans grand changement notable. D’une certaine façon, dès le 13ème siècle, le monde du fil, le monde du textile, de la laine quitte l’artisanat et entre dans un principe d’entreprenariat, de technologie qui définit mieux les métiers et les rend, aussi, nécessaire les uns pour les autres.

Avec Cœur de Tr’âme, toute cette fabuleuse épopée est narrée par Richard pendant que Annemie file et tisse sur les outils qu’ils ont reproduits à l’identique et dont certains remontent bien avant le Moyen-âge puisque le tissage était connu au Néolithique et se faisait au fuseau à fusaiole.

Annemie, tisserande professionnelle, a la particularité de tisser son fil elle-même et de ne tisser que ce qu’elle file. Son époux et elle-même vont acheter leur laine de mouton en vrac auprès d’un réseau d’éleveurs de la région. Ils sont là au moment de la tonte et trient les toisons. Sur 120 kg de laine tondue, il reste environ une bonne soixantaine de kilos qui seront utilisables. Ils amènent la laine brute à la filature de Niaux pour qu’elle y soit lavée. Une fois propre, ils la font carder au musée du textile de Lavelanet.

Lorsqu’ils la récupèrent, elle est prête pour être filée et transformée en pelote de laine par Annemie au rouet… Quel moment fascinant et apaisant à la fois que de la regarder filer… Je ne savais plus si j’avais envie de la photographier pour immortaliser cette image ancestrale que j’ai gardé bien au fond de ma psyché, là où se rangent les images liées à l’inconscient collectif ou si j’avais envie qu’elle m’apprenne à filer pour me retrouver, moi aussi, au rouet, telle la lignée des femmes à travers les temps, lignée dont je descends et à laquelle j’appartiens. Dérouler le fil au propre comme au figuré est hypnotique.

Annemie file pour les tricoteurs, un fil à deux brins retord et donc plus solide. Une fois la bobine terminée, Annemie prépare le fil de chaîne qui va être tendu sur le métier à tisser puis elle le monte. Cette opération appelée l’ourdissage est particulièrement longue (pour monter 800 fils de chaîne il faut une semaine !) et nécessite que l’on sache très précisément ce que l’on va tisser. Ensuite, le tissage en lui-même peut commencer.

Ici, Annemie tisse sur un métier du Néolithique.

Sur un métier du 13ème siècle, elle peut mettre plus de cent heures pour réaliser un tissage de 5mx1m. La laine de Annemie n’est jamais teinte car c’est une autre pratique, un autre métier. Ses créations se déclinent dans des tonalités très naturelles allant du blanc au noir en passant par un chocolat proposé par le petit mouton Ouessant.

Annemie vend ses pelotes de laine, ses vestes tissées, ses bandeaux de cheveux, bonnets de lutin ou encore petites serviettes. Elle propose aussi du tissu au mètre pour les troupes médiévales qui ont besoin de vêtements à l’aspect particulièrement proches des tissus de l’époque pour donner une véracité supérieure à leur reconstitution historique.

Réunissant leurs connaissances et savoirs respectifs, la fée et son roi animent des conférences intitulées : « De la toison à l’ouvrage » durant lesquelles, pendant que sa Dame au rouet file, Richard nous passionne avec l’histoire de la laine qui croise l’histoire cathare au 13ème siècle. On peut les retrouver lors de la nuit des musées, pendant les journées du patrimoine, durant certaines fêtes médiévales, à la demande dans les établissements scolaires ou encore les rencontrer chez eux dans leur atelier au cœur du joli village de Montségur. Ils vous raconteront, alors, la merveilleuse et spirituelle histoire du tissage compagnon de nos vies de notre premier lange au linceul…

MON CARNET DE NOTES

Atelier Cœur de Tr’âme – 96 place de l’église 09300 Montségur tel : 05 61 03 02 33 ou 06 76 37 40 52. Il est recommandé d’appeler avant toute visite. cœurdetrame@yahoo.com

Pour ceux et celles qui désirent se procurer les réalisations de Annemie : pelote de laine de 100gr/11 euros – bandeau de cheveux/20 euros – écharpe/33 euros – bonnet de lutin/25 euros… Il est possible de passer des commandes…

Durant l’été 2019, vous pouvez les rencontrer et assister à leur conférence aux dates et lieux ci dessous :

Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/

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