Aubusson est avant tout en notre mémoire l’un des hauts lieux de la tapisserie en France. Mais sait-on tout autant que « tapisserie nécessite carton » ? Et qu’un carton est, dans une définition particulièrement courte et rapide, le modèle (peinture, gouache, huile, calque, photo…) que reproduit le lissier réalisant la tapisserie ? Qu’enfin, l’histoire du carton  se cache sous l’histoire de la tapisserie à qui il est essentiel puisque la moindre tapisserie commence par un dessin…

Un musée unique en France

Personnellement, avant de pousser la porte du ravissant musée des Cartons de tapisseries d’Aubusson, je l’ignorais totalement.

Ce musée intimiste et totalement charmant est une parfaite introduction au monde de la tapisserie.

Sa taille, sans grandiloquence, le rapprochant des manufactures, en fait un lieu rappelant de facto la dimension humaine et artisanale de cet art par son évocation intrinsèque de la vie des ateliers de tapisserie et de peintres cartonniers.

Il est à l’initiative de Chantal Chirac, passionnante guide en l’endroit situé dans la maison d’octroi d’Aubusson – L’octroi (une sorte de gabelle) était le droit de péage pour passer le pont et pénétrer dans la ville-.

Antiquaire et restauratrice de tableaux, Chantal se marie avec un architecte Creusois, et quittant Paris, s’installe à Aubusson en 1988.

Riche de son expérience dans le marché de l’art entre Paris et l’Angleterre, elle prend un magasin d’antiquités dans la rue Vieille de la ville. Et bientôt des gens commencent à lui apporter des rouleaux de peintures mal stockées, le plus souvent conservées dans des sacs poubelles, mais très belles. Achète-t-elle ces cartons de tapisserie ?

Ayant une prédilection pour la peinture, Chantal part à la découverte de ces artistes méconnus, les peintres cartonniers, dont le savoir-faire est resté dans l’ombre de la réalisation des tapisseries.

Le savoir-faire du peintre cartonnier

A chaque fois qu’un lissier tisse une tapisserie, il se sert d’un modèle (peinture, gouache, huile, calque ou photo…à échelle) qu’il place sous la chaîne du métier à tisser. Il va, ensuite, suivre les contours du dessin et remplir les couleurs à l’aide de flûtes ou bobines de laine.

Ces modèles, des cartons de tapisserie, sont réalisés par des spécialistes, les peintres cartonniers.

L’une des particularités du travail du peintre cartonnier, soumis à la contrainte du tissage, est de transposer sur un support « carton », – papier chiffon (ou drap au Moyen-Age), papier épais plus tard -, une œuvre imaginée sur une maquette en petit format par un artiste.

Pour cela, le peintre cartonnier agrandit le motif à échelle, en fonction de la dimension voulue pour la tapisserie. Tout en faisant cela, il inverse le motif et le retravaille pour qu’il puisse être tissée.

Il fabrique donc une sorte de « patron » pour la tapisserie. Aujourd’hui, la photo a remplacé le peintre cartonnier.

L’histoire des cartons dans l’ombre de la tapisserie

Au Moyen-Age, siècle des grandes tapisseries, celles-ci réchauffent les murs des châteaux forts, servant de cloisons mais aussi de décors muraux.

Toujours en voyage, le seigneur ne manquait jamais de se déplacer, d’une demeure à l’autre, avec ses nombreuses tapisseries.

Dès cette époque, dans la chaîne de création d’une tapisserie, le peintre cartonnier imaginait un motif en grisaille avec des valeurs d’ombre et de lumière.

Et le lissier interprétait ce motif, tout à fait comme un artiste interprète un texte, une chanson. Il imaginait, alors, les couleurs dont il allait tisser le motif qui n’en avait donc pas à l’origine.

Le coloriste cherchait les couleurs en créant ce qui pouvait être utile d’une façon qui restait aléatoire, empirique, expérimentale, artisanale et donc magnifiquement créative.

Ainsi, la tapisserie était le résultat d’un acte de création totale en chacune des étapes de sa réalisation et pour chacun des protagonistes de cette fabrication.

La source d’inspiration venait essentiellement des livres d’heures. Aussi, chaque vide était comblé par la représentation de fleurs tinctoriales donnant par la suite le qualificatif de mille fleurs aux tapisseries de cette période.

A partir de la Renaissance, l’histoire de la tapisserie changea.

A la demande du pape Léon X, en 1515, le peintre Raphaël réalisa un carton entièrement peint pour la chapelle Sixtine. Le pape le trouva si beau qu’il demanda au lissier de le reproduire fidèlement et non de l’interpréter comme c’était donc l’habitude antérieurement.

A cet instant précis, le lissier perdit sa liberté de créativité (qu’il ne retrouva jamais). Mais, a contrario, le chimiste dut repousser les frontières de ses limites et trouver de nouvelles couleurs permettant le rendu le plus fidèle possible aux nuances que le peintre de la Renaissance exprimait avec de la peinture à l’huile.

Les seigneurs proposèrent aux peintres cartonniers de recopier des modèles issus de leur collection de tableaux, laissant, déjà, la voie libre à l’abus de réemploi de motifs…

Le carton devint alors une copie et non plus un espace de recherche textile.

Sous Louis XIV, le roi ayant demandé à Colbert de mettre tous les artisans aux Gobelins devenu le Mobilier du Roi, le ministre dirigea la noblesse pour ses besoins de tapisseries vers Aubusson.

Les manufactures de la ville Creusoise pouvaient réaliser tout ce que les clients souhaitaient pour peu que les peintres cartonniers fussent bons.

Durant le XVIIIe siècle, Oudry, peintre aimé de Louis XV, envoya Jean-Joseph Dumons fonder une petite école qui forma douze élèves dédiés à la réalisation de cartons pour tapisserie.

Cherchant l’histoire de ces peintres cartonniers, Chantal découvrit ainsi qu’à chaque manufacture de tissage correspondait un atelier de peintres cartonniers.

Sortant de cette école, Finet et Roby réalisèrent par exemple une copie d’un Boucher que je découvre au Musée des Cartons de tapisserie d’Aubusson.

Les peintres cartonniers d’Aubusson n’inventaient rien recopiant tout ce qui était à la mode mais le faisaient particulièrement bien.

Au XIXème siècle, la tapisserie alla se fondre dans le décor des petits appartements, et ainsi, se retrouver sur les sièges, les portières, les rideaux, les paravents, les écrans de cheminée ou les panneaux de boiseries.

Continuant leur ouvrage adapté aux nouvelles tapisseries, les peintres cartonniers fournissaient des cartons de toutes sortes.

Ayant été si utilisés, les anciens cartons étaient recopiés de décennie en décennie avant de tomber en lambeaux.

Une quantité impressionnante de ces œuvres de l’ombre s’accumulèrent, souvent mal stockés, dans les manufactures.

Au XXe siècle, l’ENAD – Ecole Nationale des Arts Décoratifs – créée à Aubusson sensibilisa les élèves en les incitant à créer leur propre modèle et à retrouver ainsi jusqu’à un certain point ce qu’était la tapisserie du Moyen-Age.

Les peintures sur carton sont à nouveau des peintures pour la tapisserie et non des tapisseries reproduisant des peintures. Par contre, le lissier reste définitivement un exécutant.

Pour faciliter son travail et l’interprétation absolument fidèle qu’il doit réaliser, certains cartonniers adoptent la numérotation correspondant au numéro attribué à chacune des couleurs qui, malheureusement dans cette longue histoire, ont perdu leur beau nom poétique de garance, de cochenille ou autre encore…

Un musée comme un hommage

Découvrant ces cartons, Chantal Chirac se spécialise dans le domaine et rechercha les ateliers de peintres cartonniers. En vain, car le métier souffre d’une totale indifférence locale qui seule s’intéresse à la tapisserie.

Sur les conseils de sa tante Colette Gouin, elle-même restauratrice d’art, elle achète, restaure, puis maroufle certains cartons, tend sur châssis les autres, enfin, entreprend de les mettre en valeur pour la vente.

En parallèle, elle collectionne certains de ces cartons de tapisserie, pendant plusieurs années, avec le projet de faire un musée de ces trésors, véritables sources d’inspirations pour la décoration d’intérieur notamment.

Elle ouvrit sa boutique en 2000 et dans le même temps, commença les travaux dans la maison de l’octroi pour y accueillir le musée en septembre 2012.

Aujourd’hui, la jolie demeure ancienne comprend une galerie d’art, une boutique avec un atelier dans lequel Chantal continue son métier de restauratrice et d’antiquaire, et un musée.

Totalement privé, sans aucune subvention ou aide quelconque, ce musée unique en France me permet de découvrir l’histoire de la tapisserie et dans son ombre, celle du carton.

La 1ère salle dite salle médiévale présente le métier de peintre cartonnier tout en expliquant la réalisation d’une tapisserie du début à la fin de façon particulièrement didactique. J’y contemple aussi de très belles scènes de verdure.

La deuxième salle est consacrée aux cartons du XVIIIe siècle. Les verdures deviennent exotiques. La tapisserie se glisse sur les fauteuils, les paravents etc.

La troisième salle est mise en scène comme un atelier de peintre cartonnier.

On se sent bien dans ce petit musée. Je m’y suis sentie bien… délicieusement bien dans son histoire, dans ce qu’il me raconte, dans sa taille si humaine lui confèrant un surcroît de charme à ce qu’il est spirituellement : l’hommage à un métier difficile, à un savoir-faire ignoré, à des artistes toujours modestes.

Mon Carnet de Notes

Atelier-Musée des Cartons de tapisserie d’Aubusson 1 rue de l’Abreuvoir – Pont de la Terrade 23200 AUBUSSON tel : 06 88 25 35 07 http://amcarta-cartonstapisserieaubusson.overblog.com Ouvert du mardi au samedi de 10h30 à 12h30 et de 14h30 à 18h30. Lundi et dimanche uniquement sur rdv uniquement pour des visites guidées (11h, 14h30 et en fonction de la disponibilité pour d’autres horaires). Le lieu est accessible aux personnes en situation de handicap. L’atelier musée a été ouvert sous forme d’association pour conserver et faire connaître ce patrimoine très spécifique au cours de visites guidées par des bénévoles, des étudiants stagiaires, des services civiques… Outre l’atelier de restauration, l’association accueille, également, des artistes et artisans d’art dans sa galerie ainsi que des expositions temporaires de cartons modernes des années 50.

A NOTER : Chantal Chirac et ses beaux cartons seront à la Foire des Antiquaires de Chatou (78) du 12 au 20 mars 2022

Ce reportage a été réalisé grâce à Tourisme-Creuse. Agence de Développement et de Réservation Touristiques- 9 Avenue Fayolle – 23005 Guéret. www.tourisme-creuse.com

(Je vous donne rendez-vous le 5 mars. Nous poursuivrons notre découverte de l’univers de la tapisserie en poussant la porte de l’impressionnante Cité de la Tapisserie à Aubusson)

Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/

Vous aimez mon travail ? Permettez-moi de vous prévenir des prochaines parutions.