Une corde est un ensemble de fils assemblés les uns aux autres par une opération de retordage encore appelée toronnage. Il semblerait que les plus anciennes cordes fussent naturellement de longues fibres végétales telles des branches de vigne, puis vinrent les premières tentatives de torsion, de tressage de ces fibres, de ces branches végétales. Des traces de cordages de chanvre datant vraisemblablement de 26 900 ans à 24 000 ans avant notre ère ont ainsi été découvertes à la fin du XXe siècle. Par ailleurs, l’abbé Glory (1906-1966) archéologue, spéléologue et préhistorien français, a mis à jour, dans les grottes de Lascaux, des fragments fossilisés de corde à deux brins de 7mm de diamètre. Ainsi, 17 000 ans avant J.-C., la corde, telle que nous l’entendons aujourd’hui, existait bel et bien.
Les Egyptiens furent probablement la première civilisation à développer des outils spécifiques pour la fabrication de la corde. Durant l’Antiquité, les cordes furent confectionnées à partir de fibre de palmier, de lin, d’herbe, de papyrus, de cuir ou de laine, vers – 4000, les cordes égyptiennes étaient en fibres de roseau.
Ces cordes permettaient la traction de lourdes pierres par des milliers d’ouvriers dans la construction de leurs édifices. D’autre part, en Chine, l’utilisation du chanvre est avérée dès -2800 av. J.-C. environ. Ainsi cet artisanat millénaire se propage et se perfectionne au fil des siècles et à travers l’Europe, l’Inde et l’Asie.
Si bien qu’à partir du XIIIe siècle et ce jusqu’au XVIIIe siècle, la technique ayant tant évoluée, l’on pouvait ainsi produire des cordes longues de plus de 300m. Ces cordes étaient particulièrement utilisées dans le transport maritime, chaque bâtiment nécessitant plusieurs kilomètres de cordages à son bord pour les voiles, l’arrimage et l’amarrage.
Au cours du XVIIIe siècle, un Anglais Richard Marsh inventa une machine à tresser qui entra en fonction en 1775. Beaucoup plus tard, les cordes synthétiques apparurent à l’ère plastique des années 1950. De son côté, la Corderie Palus dont je vous parle aujourd’hui existait déjà depuis 1908 à Brive-La-Gaillarde sous l’appellation : Fabrique de cordages en fils mécanique & à la main.
Elle fut la création d’un certain Pierre-Alphonse Palus, Compagnon Cordier depuis l’âge de 17 ans, sous le nom délicieux de La Tendresse du Périgord car natif de Bergerac.
Dès 1926, ses fils, Raoul et Maurice travaillèrent avec leur père puis prirent sa succession. Une partie de la corderie fut transférée non loin de Brive-La-Gaillarde, à Saint Pantaléon-de-Larche dans une zone entourée de marécages.
Mais la Deuxième Guerre Mondiale éclata, Raoul partit au front et Maurice ayant des soucis de santé resta à la corderie et décida de construire un bâtiment supplémentaire sur le second lieu de travail.
Malheureusement, quand Raoul revint du front les problèmes surgirent entre les deux frères qui officialisèrent la fin de leur collaboration en 1952. Raoul restant à Brive et Maurice sur le site de Saint Pantaléon-de-Larche, ils ne cessèrent de se concurrencer.
En 1989, Maurice racheta le fonds de commerce de son défunt frère, rapatriant une partie du personnel et tout le matériel sur son propre site. Ses cinq enfants prirent, à leur tour, la succession de leur père au milieu des années 90. Annie assurait la gérance de la SARL Maurice Palus nouvellement créée, sa sœur Christine officiait à la boutique se trouvant dans le bâtiment arrière à la manufacture.
Vers le début des années 2010, l’entreprise étant à bout de souffle, Annie chercha un repreneur. Dans le même temps, Stéphane Assolari, un franc-comtois dans l’automobile souhaitait changer de région. Venant régulièrement en vacances avec son épouse en Corrèze, ils décidèrent de s’y installer ce qui se fit avec une grosse année d’allers-retours en voiture entre Brive et la Franche-Comté. Si bien que fourbu, Stéphane décida de reprendre une entreprise pour cesser ces allers-retours éreintants. Ce n’est pourtant qu’en 2017 qu’il rencontra la famille Palus.
Le lieu, magique car datant des années 39-40 avec ses métiers à confectionner les cordages d’époque, l’émut, le savoir-faire nécessaire à la fabrication des cordages, basé sur une connaissance ancestrale et totalement artisanale, le fascina. Ainsi, en 2018, reprenant le Fonds de commerce, il créa la Corderie Palus.
Mais cette reprise fut laborieuse et compliquée. Trois longues années se succédèrent sans un jour de repos, il fallait sauver ce patrimoine architectural et artisanal. Stéphane apprit toutes les étapes de la réalisation d’une corde, il fut capable de parer à tous les manquements, les difficultés. Cet été, quand je l’ai rencontré, il m’avouait qu’enfin le plus dur semblait être derrière.
La corderie est, aujourd’hui, listée au Patrimoine culturel immatériel de France PCI qui dépend du Ministère de la Culture et de l’UNESCO. En interne, de sept ouvriers, Stéphane est passé à onze employés dont un chef d’atelier et cherche des apprentis.
Car ce métier séculaire se transmet uniquement oralement. Aucune formation n’existe pour sa transmission si bien que cette faille s’ajouta à la démarche de sauvetage de Stéphane pour ce patrimoine. Dorénavant l’apprentissage de l’art du cordier est officiellement validé par le rectorat de l’académie.
Enfin, je pénétrais dans le bâtiment où les cordes sont fabriquées. D’une architecture spécifique, le lieu fait 20 m de large pour 280 m de long… Les cordiers font 15 à 20 kilomètres par jour en parcourant cette remarquable longueur rythmée par les colonnes, les poutres en bois et les métiers à corder auquel viennent s’accrocher les fils qui seront commis comme le veut le vocabulaire du cordier car le commetage traditionnel des cordes de 100m ou plus – ici, la corde la plus longue fait 200m – nécessite des installations de très grandes longueurs pour compenser le rétrécissement des fils lors de cette torsion. De fait, la Corderie Palus est le dernier atelier en France ayant une telle longueur permettant de réaliser de cordes de grandes distances.
Une corde traditionnelle est composée de torons, un toron étant lui-même composé de fils constitués de fibres retordues entre elles. Pour 2 mm de diamètre, il faut une dizaine de fils, plus le diamètre sera conséquent plus il faudra des milliers de fils pour chaque toron.Pour fabriquer une corde, il faut assembler des fils puis commettre les torons en corde. Pour cela, on utilise le couchoir, un bel objet en bois ayant la forme d’un cône tronqué en bois plein. Il en existe de plusieurs tailles et ayant diverses appellations en fonction des régions où on l’utilise pour l’art de corder, ainsi il pourra être un toupin, un cabiau ou encore un gabieu. Son nom officiel est le couchoir toupin.
Quand on tire le fil, on met en route la machine et les fils se recordent entre eux. Le savoir du cordier se situe dans les moments stratégiques où il faut démarrer la marche, maintenir une certaine vitesse en tirant le fil et avoir un pas de corde constant du début à la fin pour que la corde s’assemble correctement de façon plus ou moins serrée, plus ou moins câblée. Il est impossible de travailler sans le couchoir toupin.
Au rez-de-chaussée, comme à l’étage, les machines – bobineuse, pelotonneuse, rolleuse, métier à corder – datent du début du XXe siècle, fabriquées le plus souvent par les cordiers eux-mêmes. Ainsi outre le fait de détenir un savoir-faire ancestral, les cordiers de la Corderie Palus oeuvrent sur des machines remarquables dans leur ancienneté et leur histoire. Certaines ont parfois plusieurs fonctions comme la bobineuse qui sert à fabriquer des cordages en coton et permet de pré-assembler des fils.
Les finitions de chaque type de corde sont réalisées à la main, la boucle de la longe en sisal ou en chanvre, la ligature de la pelote en lin poli teinte d’un si joli vert forêt, celle de la fusette en jute cette bobine, particulièrement utile aux viticulteurs, roulée sur elle-même et se vidant par le milieu. En résumé, les quatre grandes étapes de la réalisation d’une pelote sont le retordage du fil, son encollage, le relevage qui est la mise au format final et son conditionnement, ce qui signifie que trois à quatre personnes sont nécessaires pour réaliser une pelote…dans le respect d’un savoir-faire traditionnel.
La production de la Corderie Palus est particulièrement variée allant du plus petit cordage de 2 mm de diamètre à 36 mm de diamètre toujours avec le même fil. Les cordes sont en chanvre, en coton, en sisal (une fibre naturelle issue de la feuille d’agave sisalana particulièrement robuste et d’un aspect naturel), en polypropylène, en polyamide, en nylon, les ficelles en lin poli. Ce dernier est un des procédés spécifiques à la corderie Palus seule en France à le réaliser encore aujourd’hui. Le chanvre est assemblé, nettoyé, retordu puis encollé et poli, le tout entièrement à la main selon un processus traditionnel particulièrement long. La fabrication du septain constitué de six torons et d’une âme centrale est l’autre particularité de la Corderie Palus. Quelque soit son diamètres de 5 à 45 MM, cette corde sera un peu plus ronde qu’une corde classique.
Toutes ces cordes et ficelles sont entreposées dans une vieille cave dont la température est naturellement tempérée et où le degré d’hygrométrie varie peu, ce qui est essentiel pour la préservation des cordages constitués de matières vivantes qui réagissent à l’humidité.
Chacun des cordiers de la Corderie Palus vient d’une profession première différente (coiffeuse, vendeuse en lingerie, graphiste, métallurgiste, tireur d’élite dans l’armée…), mais leur reconversion dans ce métier rare et passionnant a pour point commun la conviction en la nécessité de sauver ce patrimoine.
Mon Carnet de Notes
Corderie Palus – 620 Avenue Alexis Jaubert – 19600 Saint-Pantaléon-de-Larche – Tel : 05 55 24 23 70
Ce reportage a été réalisé grâce à Brive Tourisme www.brive-tourisme.com et Corrèze Tourisme www.tourismecorreze.com.
(Je vous retrouverai le 6 novembre pour une promenade automnale dans la Petite Toscane Tarnaise.)
Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/
Vous aimez mon travail ? Permettez-moi de vous prévenir des prochaines parutions.
Tout simplement magnifique
un grand plaisir a voir continuer cela merci mon pere etait bourrelier que de souvenir
Très, très intéressant ce reportage…on apprend toujours de nouvelles choses avec Bérengère !!
C’est passionnant.
Un lieu magique, un superbe accueil, des collaborateurs passionnés passionnants et un esprit au service de bons produits. Voir revivre cette Corderie est un bonheur. Souhaits de pleine réussite à Stéphane et son équipe.
Michel Gressier
Membre IGKT France
👍Ah la Corrèze, pays merveilleux. Merci encore une fois pour ce beau voyage.
Toujours de belles découvertes, reportage vraiment très instructif.
Merci Bérangère !
Très bel article, mettant bien en valeur des pratiques qui risquent, avec le temps, de disparaître
Merci de nous faire revivre ces beaux métiers.
Merci beaucoup pour cette découverte si bien présentée on peut visiter cet endroit ?
Voilà un métier bien méconnu en France ! Enfin des produits qui ne viennent pas de Chine ! Bravo.
Merci Bérengère pour tes tribulations instructives..
Merveilleux…de détails, de répétition ou variations autour d’un fil….
Bérengère nous conte toujours des savoirs ancestraux merveilleux ou nous entraîne sur des chemins enchantés : merci !!!!!!!!
Chère Bérengère,
Toute l’équipe de la Corderie Palus vous remercie pour votre joli regard sur notre patrimoine artisanal commun.
C’était un plaisir de vous accueillir à l’atelier. Le plaisir est ici renouvelé avec la lecture de votre reportage.
Il y a dorénavant plus qu’un lien entre nous !
Quel beau message! Merci beaucoup, je suis heureuse de vous avoir procuré ce plaisir.
Des cordages de qualité, un excellent fournisseur pour mon activité. Bravo à toute l’équipe.
Excellent reportage.
Très beau reportage et très intéressant.Il donne envie de se lancer dans le macramé par exemple.Dommage qu il n’existe pas d,exemplaire papier.L’envie d’aller visiter et lieu magique se fait grandissante grâce à vous.Merci pour votre travail.
Wahou , c’est un super reportage je ne savais pas qu’il y avait cela chez nous, je ne sais pas si ont peut visiter cette usine mais cela devrait être très intéressant à voir. Merci beaucoup pour nous avoir fait découvrir ce métier.
je vous remercie beaucoup Bérengère de nous faire revivre des métiers anciens et presque disparus ..
J ai bien connu Maurice plus dans les années 72/82
Avec son petit vélo pour se déplacer dans l usine !
Merci pour ce beau reportage. Ancien bosco et toujours passionné de matelotage, j’ai dévoré ce sujet avec grand plaisir.
Ben IGKT France
Suite à une visite impromptue en 2015, Madame BARNIER étant alors la gestionnaire familiale , j’ai été conquis par cette fabrication traditionnelle de cordage , et j’en ai fait un article paru dans une revue locale du Bassin d’ARCACHON .
Revenu plus tard pour acheter des cordages j’ai été surpris de constater que cette entreprise familiale avait été reprise par Stéphane Assolari
Devenu adhérent de la guilde internationale des noueurs l’IGKT , branche Française , il n’a eu de cesse que de faire connaitre et classer ce monument historique industriel Français.
Bravo Stéphane d’avoir sauvé cette corderie exceptionnelle
Super reportage, on découvre de nouvelles merveilles chaque jour et c’est un peu grâce au système associatif. MERCI