Il était une fois une terre d’eau et de poésie tout au nord de la France dans ce que l’on appelle désormais les Hauts de France. J’y ai vécu au ras du sol tous les étés de mon enfance jusqu’à l’âge de dix ans. Récemment, j’ai eu envie d’y retourner pour vous, pour vous en raconter sa richesse, sa beauté, sa singularité et vous en tracer un trop bref mais, je l’espère, inspirant portrait en trois volets. Aussi, il y a quelques semaines, me suis-je longuement promenée dans les eaux de canaux, de rivières mêlées, de tourbes maîtrisées du marais audomarois, des eaux d’un marécage somptueux et totalement créé par le travail acharné de l’homme en corps à corps avec la nature.

Incontestablement vaste et diversifié car reposant sur quatre piliers fondateurs : l’eau, la biodiversité, le marais habité et le marais maraîcher dont je vous parlerai plus précisément dans cette publication, ce territoire exceptionnel couvre plus de 3726 hectares soit 37 km2 répartis sur quinze communes (St Omer, Clairmarais, Serques, Tilques, Longuenesse, Salperwick, etc.) entre le Nord et le Pas-de-Calais, composés de champs, d’exploitations maraîchères entourés de canaux, de petites îles desquelles émergent des maisonnettes traditionnelles ou de belles longères flamandes en brique, toits de tuile, et de grands étangs sauvages à la faune et à la flore rares et protégées.

La mise en valeur des terres du marais s’est faite progressivement sous l’impulsion des abbayes et a nécessité que l’homme évacue les eaux vers la mer pour assécher progressivement les terres. Ainsi me promenant dans les lieux, je découvre que ce marais dans sa forme actuelle que je pourrais dire « finalisée » depuis deux siècles, ne survivrait pas en l’état si l’homme cessait son activité sur lui. En moins de trente années tout disparaitrait et retournerait à l’état tourbeux et aqueux, hérissé de forêts de ses débuts anarchiques.

Car ce territoire fertile fût à l’origine une zone humide tourbeuse inondée par la mer durant plusieurs siècles puis exondée. Envahissant l’espace du sud vers le nord, les rapides de la rivière de l’Aa permettaient aux premiers habitants de vivre de la pêche. Du Ve siècle au VIIe siècle, le futur marais était une cuvette inondée et boueuse entre Saint-Omer et le goulet de Watten-Eperlecques qui menait vers la mer. Les premiers aménagements du marais eurent lieu durant le Moyen-âge, sous l’influence et l’aide des moines de l’abbaye de Clairmarais. Les brouckaillers ou maresquiers, nom donné aux habitants des lieux, exploitèrent la tourbe, combustible peu coûteux, drainèrent le territoire, rehaussant les terres, creusant des fossés appelés aussi les watergang (terme provenant du néerlandais), des rivières – les watringues – , des étangs.

Si bien qu’apparut vers 1100 un premier canal, le Grand Large, creusé depuis la ville de Saint-Omer dont l’histoire est intimement liée au marais. Ce Grand Large fût la route de transport de la mer vers Gravelines et cette voie navigable très large et relativement profonde permit à Saint-Omer de devenir un port maritime très important au XIIe siècle. Dans la foulée, Baudouin VI comte de Flandre initia des travaux de canalisation de la Grande Rivière. Puis, vers 1165, son successeur Baudouin VII continuait l’ouvrage avec la création d’un nouveau canal endigué, percé, l’actuel canal de Neufossé, favorisant la mise en valeur du marais haut autour de la ville. Les habitants vivaient, outre de la pêche, de la culture de légumes et du chanvre dont on se servait pour la fabrication des cordes pour les bateaux.

A partir de la Renaissance, les terres basses du marais furent mises en culture sur le modèle des techniques hollandaises avec notamment la technique des polders selon laquelle une étendue artificielle de terre est obtenue grâce à des digues, barrages et des moulins à eaux servant à réguler le niveau de l’eau. Le gracieux dispositif des moulins a totalement disparu aujourd’hui et son évocation reste simplement aux abords de la Maison du Marais.

De 1786 à 1866, les aménagements et les drainages se poursuivèrent asséchant un nombre croissant de parcelles créant ainsi un maillage dense de fossés encadrant de longues bandes de terres dites lègres utilisées pour le maraîchage. Les culs de sacs, très nombreux aux abords des lègres, permettent de drainer l’eau, d’amarrer le bateau dans le champ qui ne fait jamais plus de 30 mètres de large pour pouvoir être arrosé plus commodément.

Le marais prit son visage définitif au dessin très régulier. Sa terre grasse, généreuse, permettait à chaque parcelle de porter plusieurs récoltes ou d’offrir une herbe goûtue en pâturage à l’animal. Il répondait alors à sa fonction première lors de sa création : nourrir la ville, celle de Saint-Omer et les autres alentours

Poursuivant sa vocation maraîchère, il est aujourd’hui l’un des derniers marais de France à cultiver des légumes et des fruits. Près de cinquante légumes différents y sont produits avec notamment l’endive introduite vers 1920 dans la région, mais surtout en vedette depuis 1751 et faisant partie intégrante du patrimoine du marais, le chou-fleur d’été récolté deux à trois fois par an, particulièrement heureux en ces terres fertiles car la tête au soleil et les pieds dans l’eau . Il se plantait encore à la main au début des années 2000… Ces fruits et légumes sont souvent vendus directement par les maraîchers dans leur propre boutique ou bien lors de marchés ou encore de marchés sur l’eau. Dès lors, on voit les embarcations traditionnelles, les bacôves à fond plat, remplies de cageots de légumes et de fruits, voguer sur les canaux et se rassembler pour un marché dans le marais.

Pourtant la mécanisation (et la pose de ponts pour son usage) a modifié notablement le paysage et surtout la culture. Par exemple, il n’y a plus de légumes « d’entre deux ». Un légume d’entre deux est un légume qui pousse vite comme par exemple, les radis, les salades, le mesclun, la moutarde.

Par ailleurs, auparavant, on labourait de la berge vers le dôme, le milieu de la terre, et lorsque l’on curait la berge, on jetait le limon vers le centre de sa parcelle, cela créait un paysage spécifique. Le tracteur nivelle désormais l’ensemble et la terre, sur laquelle de nombreux ponts ont été créés, a perdu son charme bombé pour une certaine poésie du plat.

A la Ferme Bedague, à Tilques, j’ai rencontré Alexandre, producteur du fameux chou-fleur et de divers légumes dont la savoureuse carotte de Tilques. Alexandre a repris l’exploitation familiale et œuvre avec sa famille qui poursuit une polyculture depuis quatre générations. Sa carotte est un délice un peu plus sucrée que les autres variétés, un peu plus grosse et avec un cœur tendre. La merveille de l’aventure, c’est de découvrir qu’il faut deux ans pour faire une carotte de Tilques car Alexandre part d’une graine fermière faite sur place.

La chose se réalise ainsi : il garde 500 carottes environ de sa récolte de septembre. Elles seront les « porte-graines » et sont conservées à l’abri du gel jusqu’en mars. A ce moment-là, Alexandre les repique en jauge dans un coin de jardin. De mars à août, les fleurs montent. En août, il choisit les fleurs les plus hautes et les plus sèches car les plus pleines de graines. Il les coupe, en fait des bouquets qu’il pend la tête en bas dans la grange pour l’hiver. En mars, il descend les bottes et à la main, les épluchent, les émiettent, les frottent pour préparer la graine. En mai, il sème ces graines et une nouvelle récolte aura lieu en septembre dont il gardera 500 carottes pour refaire des graines fermières… La graine fermière d’Alexandre est descendante des graines que semaient ses parents et grand-parents… Sa délicieuse carotte de Tilques est donc très spécifique dans le monde des carottes de Tilques, elles-mêmes particulières au Pays des Carottes…

Non loin, sur une parcelle proche, je découvre la Cressonnière de Tilques Véronique – 6ème génération sur les lieux – a repris l’exploitation familiale avec ses parents. Si ses cultures sont de plein champ et en serre avec une prédilection pour les tomates qui demandent des soins tellement minutieux, au milieu de sa terre, sa cressonnière, la dernière du marais, réunit à la fois le titre de patrimoine familiale et de patrimoine du terrain, l’audomarois.

Sur les terres de Véronique coule une source naturelle avec un léger écoulement nécessaire pour qu’il n’y ait pas stagnation, et ayant une température constante, été comme hiver, oscillant entre 8° à 12° à la sortie de terre. L’audomarois, grâce à son fond naturel de craie, est idéal pour la culture du cresson de fontaine à la saveur forte, légèrement piquante et pleine de caractère. Véronique sème dans la tourbe asséchée puis monte le niveau de l’eau petit à petit. Au bout de six semaines, elle fauche la plante qui retombe dans le bassin et repousse. Six semaines plus tard, si le cresson est suffisamment garni de feuilles, la jeune femme le coupe pour le vendre sinon elle suit le même processus que précédemment. Cette culture, totalement artisanale, ne fait pas nécessairement un beau cresson mais avant tout un bon cresson de fontaine que l’on déguste dans la conscience de sa rareté, ici, dans le marais.

Mon Carnet de Notes

A voir, à visiter, à faire

Regarder « Chez Capiau » la vie d’un maraîcher. Un film réalisé avec de nombreuses et très émouvantes images d’archives racontant la transformation du marécage au VIIe, le développement des zones d’habitation et de maraîchage, le travail de la terre, les traditions qui y sont liées. L’entrée est libre. La Maison du Marais – 36 avenue du Maréchal Joffre – 62500 Saint-Omer tel 03 21 11 96 10 www.lamaisondumarais.com Ouvert 7j/7j de 10h à 19h du 1er avril au 31 août et durant les vacances scolaires. De 10h à 18h en septembre et du mardi au dimanche 14h à 18h d’octobre à mars inclus.

Se promener en bateau traditionnel dans le marais. Incontournable, je vous incite fortement à faire cette découverte du marais sauvage, cultivé et habité. Les guides ont grandi dans les marais, ils le connaissent parfaitement bien et accompagneront votre découverte d’anecdotes, d’histoires, de légendes. Le moment que vous allez vivre sera enchanteur ! La Maison du Marais – 36 avenue du Maréchal Joffre – 62500 Saint-Omer tel 03 21 11 96 10 www.lamaisondumarais.com Ouvert 7j/7j de 10h à 19h du 1er avril au 31 août et durant les vacances scolaires. De 10h à 18h en septembre et du mardi au dimanche 14h à 18h d’octobre à mars inclus.

Vous pouvez aussi faire une très belle promenade au départ de Clairmarais, dans le marais maraîcher et les faubourgs de Saint Omer en bacôve avec la compagnie Ô marais by Isnor. Les départs ont lieu tous les jours d’avril à septembre à 15h30. La même compagnie propose aussi de très poétiques croisières à l’aube ou en nocturne sur les eaux envoutantes. N’hésitez pas à vous renseigner pour les dates précises de ces moments insolites que je vous invite à vivre tant le marais est de toute beauté en ces heures de lever et de coucher du soleil. Isnor 3 rue du marais – 62500 Clairmarais www.isnor.fr contact@isnor.fr tel : 03 21 39 15 15

Acheter des carottes de Tilques ou un pot de confiture de carottes à la Ferme Bedague –Outre les productions maraîchères de saison, on y trouve toutes une déclinaison réalisée par des artisans locaux autour de la carotte de Tilques de la ferme Bedague : biscuits sablés, jus délicieux, confitures originales à essayer aussi en association sucré/salé particulièrement fine. Ferme Bedague 111 route de la départementale 943 – 62500 Tilques – Ouvert du mardi au samedi de 9h à 12h et de 13h30 à 19h. Tel : 07 61 43 96 40 alexandre.bedague@live.fr FB : @laFermeBedague @CarolttedeTilques

Découvrir le goût du cresson des sources de l’audomarois ou acheter des légumes anciens et des fruits cultivés en culture raisonnée. La Cressonnière de Tilques 8 rue Henneboque – 62500 Tilques- ouvert 7j/7j de 8h à 21h. www.lacressonniere-de-tilques.com veronique.toussaint62@gmail.com tel : 06 86 22 93 19 ou 06 69 09 62 14 @lacressonnierede.tilques – vendredi exposition de 9h à 11h place de l’hôtel de ville de Longuenesse

Découvrir l’histoire d’une abbaye autour d’une bière. Et comme les moines sont à l’origine de la création du marais, il est particulièrement heureux et intéressant de faire cette jolie expérience de se rendre à la brasserie qui se trouve dans le corps de ferme de l’ancienne abbaye de Clairmarais. Vous entendrez une histoire passionnante racontée par des passionnés et de surcroît vous dégusterez vraiment de remarquables et excellentes bières de type « abbaye » ayant l’appellation bière d’abbaye et reprenant la fabrication de la bière telle que les moines la réalisaient. Moi qui ne suis guère amatrice de bière, je fus absolument conquise lors de ma dégustation de leur breuvage. – Brasserie de l’Abbaye de Clairmarais Ferme de l’Abbaye – 9 route d’Arques – 62500 Clairmarais – Ouvert le vendredi et le samedi de 10h à 12h et de 14h à 18h- visite de la brasserie + histoire de l’Abbaye : 5 euros/pers. durée 1h30. Hormis ces journées, la boutique est ouverte sur rendez-vous. Tel : 06 42 81 89 96 www.abbayedeclairmarais.fr laurent@abbayedeclairmarais.fr

Où déjeuner

En bordure de marais à Salperwick, la cuisine est faite maison avec des produits frais. La carte « à l’ardoise » propose notamment des plats régionaux traditionnels que je vous recommande vivement… Rassasiés de plats du terroir généreux et bons, vous pouvez louer une barque à rames ou à moteurs et vous promener à votre rythme dans le marais. Au Bon Accueil – 29 rue du Rivage Boitel – 62500 Salperwick – tel : 03 21 38 35 14 www.bonaccueil.info ouvert tous les jours de 9h à 18h du 15 mars au 31 octobre.

Ce reportage a été réalisé grâce à l’office de Tourisme du Pays de Saint-Omer. www.tourisme-saintomer.com tel : 03 21 98 08 51 contact@tourisme-saintomer.com insta : saintomer_tourisme et à la Maison du Marais www.lamaisondumarais.com

(Prochain reportage à paraître, le 10 juillet, la promenade continuera dans le marais audomarois à la rencontre des faiseurs de bateaux…)

Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/

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