En Ariège, dans la Vallée de Bethmale, j’ai rencontré Pascal Jusot l’un des derniers artisans sabotiers de France. Les histoires des artisans, ou plus exactement de ces hommes et de ces femmes qui choisissent d’apprendre un savoir-faire artisanal et de tradition est bien souvent l’histoire d’un amour pour une pratique, d’une découverte d’un art qui provoque une émotion en eux telle qu’ils leur faut lui consacrer leur vie comme je le raconte dans mon livre Le mouchoir de la duchesse, voyage au coeur de l’artisanat d’art. https://www.riveneuve.com/catalogue/le-mouchoir-de-la-duchesse-voyage-au-coeur-de-lartisanat-dart/
Pascal Jusot ne fait pas exception, passant de longs moments, au début des années 80, chez les deux sabotiers qui officiaient à Castillon.
Le voyant totalement fasciné par la fabrication des sabots, l’un des deux accepte de le former sur le tas comme cela arrive souvent.
Son apprentissage dure trois ans au terme duquel il s’installe à son compte.
C’est dans son bel atelier niché au creux d’un virage sur une petite route qui serpente vers les hauteurs de son village que je l’ai rencontré.
Une très brève histoire du sabot
Mais, juste avant de pénétrer dans le jardinet qui mène jusqu’à son atelier, il me semble important de retracer en quelques mots l’histoire du sabot.
Le sabot apparut au XVe siècle entre 1480 et 1520.
A l’origine, il fut intégralement en bois et était réalisé d’un seul tenant en creusant un morceau de bois pour que le pied puisse s’y glisser.
Ce métier s’appelait le sabotage et l’artisan était donc le sabotier.
Est-ce la coquette Anne de Bretagne – épouse des deux derniers rois Valois de France – qui en fit un soulier à la mode ?
Toujours est-il que cette chaussure se répandit rapidement dans les milieux populaires et les campagnes de France, de Flandre et des Pays-Bas.
On le portait aussi dans les Alpes occidentales (Vallée d’Aoste), en Allemagne et dans les pays nordiques.
Le terme sabot proviendrait de la combinaison entre les mots savate et bot de l’ancien français utilisant ce dernier terme pour parler d’une chaussure montante, en quelque sorte bot est le masculin de botte.
Savate proviendrait de l’arabe sabbat désignant une danse bruyante, tournoyante ou en toupie ainsi un sabot bien fixé (ou une savate) permettrait d’accomplir des danses rituelles.
Le sabbat mythique des sorcières est bien une danse bruyante…
En ancien français du XIIIe siècle, saboter signifiait heurter, puis entre le XVIe siècle et le XVIIIe siècle, il signifia secouer.
A partir de 1838, il prit son sens actuel et devint au fil du siècle le symbole des anarchistes…
Le XXe siècle se déroula sans histoire particulière pour le sabot lorsque soudain au milieu des années 1960 et durant toutes les années 70, il fut érigé en chaussure « star » grâce au mouvement hippie et son rejet de la société de consommation.
Féérique, les sabots de Bethmale
Aujourd’hui, dix à douze artisans sabotiers exercent en France.
Selon les régions, les sabots sont plus ou moins fins, plus ou moins pointus et les essences de bois varient bien évidemment.
Les sabots de Bethmale, dont Pascal Jusot maîtrise parfaitement la fabrication ce qui lui vaut d’avoir le label national : Entreprise du patrimoine vivant, sont des sabots d’apparat pour les danseurs (nous retrouvons ici la fonction première du sabot, celle d’une chaussure pour danser) ou bien les collectionneurs d’art populaire.
Ce sabot entièrement fait à la main est un sabot de montagne sans talon permettant ainsi de faire bascule pour monter et descendre les pentes sans se tordre le pied.
De profil, il a une forme de croissant de lune lui donnant un aspect résolument gracieux et féérique.
Comment réaliser un sabot dit de jardinier?
Pourtant, nostalgique du sabot de mon enfance quand je me promenais en jupe longue dans le marais audomarois, je louche sur les sabots dits de jardinier ou sabot « classique » que Pascal Jusot fabrique aussi et dont je vous livre, ici, les dix-sept étapes de fabrication qu’il a bien voulu me confier.
1. Pascal coupe son bois à l’automne en lune descendante car c’est le moment où la sève descend.
2. Le bois est stocké dans la cour de son atelier devenant ainsi un bois vert.
3. Ensuite, nettoyé de la terre, Pascal tronçonne des rondins en fonction de la longueur des futurs sabots. Taillés dans le pied d’un arbre, les sabots seront plus lourds et plus solides.
4. Une fois dans l’atelier, notre sabotier trace la circonférence de chaque modèle et de chaque pointure avec un gabarit sur les rondins.
5. Il fend les rondins à la circonférence en évitant le cœur du bois, les nœuds et les creux.
6. Il les fend à nouveau à la scie à ruban en les tenant verticalement.
7. Pascal scie les ébauches en commençant par les plus grosses pointures.
8. Les ébauches sont centrées sur la façonneuse, celle-ci fonctionne en copiant à l’identique un modèle fait entièrement à la main.
9. Après ce façonnage, le sabot est placé dans la creuseuse qui travaille à l’aide d’un gabarit et creuse à la cuillère l’intérieur du sabot.
10. Le sabot est mis au séchage pendant 3-4 mois dans l’atelier à une température douce et constante.
11. Pascal prend le sabot, désormais sec, et le finit au paroir pour rattraper les défauts des machines et du séchage, réalisé la pointe, le talon et finir la forme extérieure du sabot.
12. Il creuse, cette fois-ci à la main, l’intérieur du sabot avec des cuillères.
13. Puis, il ponce l’intérieur et l’extérieur du sabot.
14. Pascal pose (ou non) le vernis.
15. Il pose des caoutchoucs, à l’extérieur, pour protéger les talons…
16. …Puis,…pose des brides en cuir.
17. Enfin, Pascal Jusot termine le sabot avec la gravure des épis de blé qui sont son emblème et comme une signature sur chaque sabot.
Les atouts et particularités d’un sabot en bois
Ce joli et confortable sabot peut être couvert (tout en bois), demi-couvert (avec une bride en cuir sur le dessus) ou découvert ajouré (avec une bride en cuir à l’arrière).
On peut y mettre un chausson en feutre à l’intérieur sur certains modèles de sabots et les pointures vont du 28 au 47.
Ah… petite précision d’importance, un sabot peut être à bout rond ou à bout pointu sachant que la pointe d’un sabot permet de se décrotter les semelles des sabots, idéal donc pour le jardinage !
Le port du sabot en bois de l’enfant à la personne âgée a bien des avantages car les sabots sont une chaussure saine et naturelle avec laquelle on marche très bien.
Par ailleurs, le bois est bien meilleur pour la santé du pied que le plastique (des Crocs par exemple) qui crée des champignons et ne protège pas d’un malencontreux coup de bêche ou autre.
Ensuite le sabot est facile à porter mais il doit avoir une voûte plantaire bien dessinée et un pied droit distinct du pied gauche. Si on ne peut les distinguer, ce n’est pas un bon sabot même s’il est beau.
Enfin, les sabots de Pascal Jusot sont faits dans un bois local, le cuir est acheté dans une tannerie française et la teinte est réalisée dans l’hexagone ainsi tout est donc parfaitement made in France.
MON CARNET DE NOTES
Pour visiter, commander, acheter…
Il est possible de commander ses sabots via le site internet. Durant la saison estivale, ouvert tous les jours de 15h à 19h en visite libre. Visite commentée (45mn) de l’atelier tous les mardis à 15h (3 euros/pers). Hors saison, il est recommandé de téléphoner avant de passer. Atelier Pascal Jusot. Vallée de Bethmale. Tel : 05 61 96 78 84. artisan-bois-sabots.fr/wp/
Ce reportage a été réalisé grâce à www.ariegepyrenees.com.
A lire
Pour découvrir d’autres savoir-faire artisanaux, rencontrer de vraies personnalités, pousser la porte des ateliers, vous pouvez lire mon livre Le mouchoir de la duchesse, voyage au coeur de l’artisanat d’art. de Bérengère Desmettre. Préface Noëlle Bittner. Editions Riveneuve. 206 pages, un glossaire, des adresses… https://www.riveneuve.com/catalogue/le-mouchoir-de-la-duchesse-voyage-au-coeur-de-lartisanat-dart/
Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/
Vous aimez mon travail ? Permettez-moi de vous prévenir des prochaines parutions.
Quel merveilleux reportage ! Même si je m’y intéresse depuis longtemps (j’en ai quelques uns, surtout pour les enfants), je ne connaissais pas l’étymologie du mot… ni tous les secrets de fabrication ! Merci donc une nouvelle fois, Bérengère !
Voilà une fois de plus un superbe reportage. Merci une nouvelle fois de la qualité de cette production.
Excellent reportage sur cet artisan saboter.
Je vais m’empresser de commander une paire de ces magnifiques sabots que vous avez mis en photo.
Un reportage superbe.
Merci Bérengère ! J’envisage d’en offrir une paire à mon petit-fils pour ses séjours à la campagne !
Tu trouves toujours des sujets passionnants : bravo ! Et tes photos sont très belles ! Bisous
je vous avez déjà vu en Ariège , beau travail felicitations :*