Reportage dédié à JL.

Artiste, Caroline Dahyot a fait de sa maison une œuvre d’art totale, tout en poursuivant une œuvre sur papier, sur draps et autres textiles. L’émotion que je ressentis le jour où, dans une exposition collective, je découvris l’un de ses draps dessinés m’incita à aller la rencontrer à Ault en Picardie dans le refuge qu’elle a créé pour ses enfants, pour ses amoureux, pour les gens qu’elle aime, pour elle, aussi… En ce jour de la St Sylvestre, en cette nuit du passage vers une nouvelle année, j’ai voulu vous offrir un voyage de l’autre côté du miroir au Pays de Caroline à la Villa Verveine.

La Villa Verveine oeuvre d'art total de Caroline Dahyot

Dès l’enfance, le dessin comme expression de soi

La Villa Verveine oeuvre d'art total de Caroline Dahyot

Après une naissance à Neuilly dans un milieu aisé, Caroline grandit dans le Vexin à côté de Pontoise.

Son enfance se passa entre les nombreux voyages avec ses parents, une grande admiration pour son frère punk qui lui montra les chemins de la liberté, et une dyslexie à laquelle le dessin fut une réponse.

Car, elle a six ans lorsque dessinant pour la première fois, tout son entourage la félicite, faisant naître en l’enfant la certitude que le dessin est une possibilité pour elle de s’exprimer et d’être comprise.

Aujourd’hui, encore, toujours, son œuvre est guérisseuse, absorbant ses angoisses, ses peurs, les transformant et créant un monde protecteur d’une infinie douceur.

Adolescente, Caroline se rêvait mariée et maman. Quand il lui fallut choisir une voie professionnelle, sa mère, ayant vu la jeune fille manifester un vif intérêt devant des affiches de films indiens découvertes lors d’un de ses nombreux voyages, lui proposa d’intégrer l’école d’art Maryse Eloy à Paris.

La Villa Verveine oeuvre d'art total de Caroline Dahyot

La Villa Verveine oeuvre d'art total de Caroline Dahyot

De caractère extrêmement timide, Caroline pleure tous les jours, essayant de faire du beau, de bien dessiner, avec application jusqu’au jour où en elle, l’émergence de figures trop violentes pour être belles la firent basculer dans un autre monde.

De l’autre côté du miroir, la fée est sorcière, et la sorcière est fée, toujours. De l’autre côté du miroir, dorénavant, Caroline dessinera uniquement ce qu’elle veut, ce qui est en elle, sans plus de contrainte. De l’autre côté du miroir, tous ses professeurs la soutiendront sans jamais la brimer, quand bien même jamais elle ne répondra aux sujets imposés.

Les jeunes années de Caroline

En sortant de cette école de graphisme, de 1991 à 1996, elle travailla en tant que hôtesse vacataire au Musée du Centre Pompidou à Beaubourg, adorant ce travail qui lui permettait de rêver devant des œuvres d’art tout au long du jour.

Outre le compagnonnage quotidien, rituel, avec des œuvres d’art parmi les plus belles au monde, elle y fit des rencontres passionnantes et parfois déterminantes telles d’autres artistes travaillant au Centre Pompidou, des réfugiés politiques qui la sensibilisèrent beaucoup à l’Autre de l’autre côté de la frontière, mais aussi celle qui deviendra sa meilleure amie, sans oublier le futur père de ses enfants.

La Villa Verveine oeuvre d'art total de Caroline Dahyot

Après un intermède Niçois, le temps de mettre au monde ses deux enfants sous le soleil, Caroline reprit ses vacations bienheureuses à Pompidou, le jour. La nuit, elle dessinait…

…jusqu’à la fatale rencontre avec un dessinateur de la revue Harakiri, celui-ci lui déclarant sans ambage que ses dessins sont nuls.

Dès cet instant, avec une peine profonde, Caroline arrête de dessiner et se met à broder avec tous les fils qui lui tombent sous la main et à faire des poupées en rapport avec les gens qu’elle aime.

De l’autre côté du miroir, les poupées sont protectrices

La Villa Verveine oeuvre d'art total de Caroline Dahyot

Chaque poupée ayant un organe attitré, il y eût la poupée pour l’amoureux aux poules, la poupée à l’utérus cœur, la poupée pour sa grand-mère chérie doux fantôme protecteur, la poupée pour avoir des bébés, etc.

Jamais le souci de l’esthétisme n’entre en compte dans la réalisation d’une poupée, seule l’urgence s’exprime, celle de sauver, vite sauver ceux qu’on aime…

Car la poupée a pour vertu première d’empêcher l’être à qui elle est attachée de mourir ou de disparaître.

Il y a de la Bonne Dame en Caroline l’artiste et ses poupées ont tout d’un totem porte bonheur, un totem protecteur qu’elle offre à l’Autre.

poupée totem par Caroline Dahyot

A la Villa Verveine, un mur entier est consacré aux poupées de femmes qui se réparent.

Car les femmes ne sont pas les rivales de l’artiste mais des alliées qui se soutiennent et se soignent les unes les autres.

Ces poupées totémiques sont, pour la plupart, offertes aux personnes à qui elles font références symboliquement ou bien intègrent des collections privées comme la collection d’Art brut de Marion et Ludovic Oster.

Ce fût d’ailleurs grâce à ce couple de collectionneurs, que certaines de ses pièces ont intégré le fond du Art et Marges Museum de Bruxelles et que l’artiste participa à une exposition d’Art Brut intitulée Le cœur au ventre, toujours à Bruxelles.

La Villa Verveine oeuvre d'art total de Caroline Dahyot

Créer un rempart et un refuge par la grâce du geste artistique

Mais en 2002, vivre à Paris devenant trop cher, elle prit la décision de vendre le petit appartement où elle vivait et acheta la Villa Verveine.

Le premier propriétaire de la Villa Verveine était un dessinateur qui probablement prédestina la demeure à accueillir une artiste et son art car Caroline se sentit littéralement appelée par la maison.

Elle s’y installa avec son compagnon et ses deux enfants et petit à petit tout en continuant ses poupées et ses broderies, se mit à dessiner sur les murs comme elle le faisait déjà dans son lieu de vie parisien, avant le verdict castrateur.

La Villa Verveine oeuvre d'art total de Caroline Dahyot

A vrai dire, cela commença sur un malentendu, car elle voulut peindre le plafond de la pièce principale normalement, à la chaux. Mais l’entreprise s’avéra un ratage complet.

Son compagnon lui proposant, alors, de prendre le relais et de refaire un plafond bien comme il faut, elle lui donna un an au bout du quel si rien n’était fait, elle le ferait alors, à sa manière… et un beau matin, le premier dessin orna le plafond.

Le besoin irrépressible de dessiner sa maison, de l’ennoblir de ses dessins, de révéler à la fois l’âme de ce lieu singulier et son intrication avec ses propres obsessions, se poursuivit, au début dans les pièces que son compagnon fréquentait le moins tels le couloir qui n’est qu’un lieu de passage, l’atelier du sous-sol où il n’allait jamais, la façade de la maison vilainement tagué par des jeunes.

Ainsi, les jours s’écoulent, les semaines, les mois, les ans, et Caroline dessine toujours…

A chaque rupture amoureuse, la maison s’orne de dessins supplémentaires comme un rempart, comme un refuge face à la peine, comme un espace clos, fragile et protecteur d’espérances à venir.

La Villa Verveine comme un journal intime

Sur les murs de la Villa Verveine, sur les abat-jours, les fauteuils, le plancher, sur les marches des escaliers, sur les portes et les armoires, aujourd’hui, se déroule un journal intime de mots et de phrases en désordre résonnant souvent comme des mantras qui agissent le temps nécessaire, relevant aussi de la pensée magique, parfois d’un questionnement social, politique et engagé où se révèle la volonté d’interroger les rapports de soumission et de domination dans l’amour ou bien les aberrations de la guerre et la nécessité de la paix, ou encore d’interroger le pouvoir, celui de l’argent, celui de l’amour et ce que l’on en fait: Ménagère en grève pour épanouissement…, C’est si facile de s’envoler…, Je pense toujours à vous, je ne sais pas si c’est normal…, Nous sommes unis… Être dans les nuages…, Tant que je dessine c’est que le désir passe…, Il fallait garder notre bienveillance…, Le seul pouvoir est celui de l’amour…

Drap peint par Caroline Dahyot

Voisinant avec les mots, les amoureux imaginaires à tête de chat y sont très aimés et très dessinés, la plupart ornent les murs pour attirer l’amour…

Mais ouvrent-ils réellement la porte de l’amour incarné, de l’amour possible se demande l’artiste ou bien la maintiennent-ils dans un rêve éveillé idéal dont elle ne pourrait s’abstraire?

Ses enfants sont les personnages les plus récurrents, je les croise à tout âge et à tous les étages de cette maison qui protège aussi les objets vivant une vie particulière dans un monde que l’on pourrait rapidement qualifier de Pays des Merveilles où Caroline-Alice aurait basculé, il y a longtemps, si une influence post-punk ne se faisait pas nettement sentir.

De l’autre côté du miroir, il y a de l’Ombre au Pays de Caroline…

Car ici, un baigneur flotte dans les WC pour donner le change et masquer ce qui ne va pas ou plus, un bout d’une carafe cassée vit une love story avec une cafetière, et certaines étagères donnent l’impression que tous les objets vont chuter, métaphorisant merveilleusement la vie où tout, toujours, est en équilibre précaire menaçant de tomber et demandant chaque jour son lot d’attention et de travail.

Une oeuvre chatoyante et profonde

Caroline Dahyot dans son atelier

Caroline Dahyot dans son atelier

L’atelier de Caroline est au dernier étage de la maison avec vue sur la mer, la Manche grise, bleue, infinie.

Nutella, la chatte si câline veille et ne quitte pratiquement jamais cette pièce.

Ici, Caroline œuvre à d’autres créations, notamment ses draps peints riches d’un dessin foisonnant, coloré, qui parfois n’est pas sans évoquer une lointaine filiation avec Chagall.

Caroline a commencé à faire des draps quand, on lui a demandé de reproduire sa maison pour des expositions qu’elle a enchaînées à la Biennale Hors Normes de Lyon, à Sarreguemines, au Québec, en Hongrie ou encore à New-York lors de l’Outsider Art Fair.

Puissants tableaux aux scènes de couples enlacées dans l’Aube des Âges, ou de portraits de familles comme on rêve de les dessiner enfant, forts, sans artifice avec juste le sentiment de l’Amour initial et premier, ces draps sont devenus des œuvres indépendantes présentées comme des pièces uniques tels ce drap consacrée à la guerre en Ukraine ou bien celui qui fût réalisé suite à l’explosion au port de Beyrouth en 2020.

Aller jusqu’au bout et donner du sens…

Drap peint pour l'Ukraine - Caroline Dahyot

En son quotidien, dans une vie toute consacrée à l’expression, Caroline dessine, brode, avance la réalisation de plusieurs œuvres en même temps et en parallèle aux dessins sur les murs de la Villa Verveine, me précisant en de très justes propos : Quand on commence quelque chose, il faut aller jusqu’au bout…au bout de l’œuvre…

Il y a en elle la conscience des sacrifices inhérents au chemin emprunté et une impossibilité d’agir à moitié, de négocier…avec la vie…avec son œuvre…

Reconnaissant qu’elle perd forcément des choses dans cette ascèse, l’honnêteté habitant son geste la maintient sur le chemin qu’elle s’est choisi, de façon vitale.

Drap peint par Caroline Dahyot

Mon travail est une œuvre de camouflage me dit-elle. Grâce à lui, elle se sent protégée, libérée d’un pouvoir qu’elle a confié à sa maison.

La Villa Verveine devenue grotte, cabane, ventre-mère, a charge de la garder en vie, elle et les êtres chers à son coeur.

En ce lieu, le monde vient à elle, avec les souffrances, les drames d’Ailleurs dont elle entend parler et qui toujours l’amène à s’interroger en une nouvelle création, avec des artistes qui exposent sur ses murs, – et je passais la nuit dans une chambre d’amis aux murs desquels un artiste Berlinois Dimitri Süsin avait encore quelques œuvres d’une exposition collective qu’elle organise une fois l’an à la Villa Verveine -, avec des amis qui passent parfois, avec ses enfants, enfin, qui y ont gardé leur chambre malgré une vie de jeunes adultes indépendants.

La Villa Verveine oeuvre d'art total de Caroline Dahyot

Dans la vie de Caroline, sur ses murs, et dans ses œuvres, tout a un sens et quand cela n’en a pas, elle en fabrique.

Déroulant un fil d’or enfayté, elle dessine, brode, fabrique de quoi nous emmener émerveillés de l’autre côté du miroir où tout est possible nous disent les contes…

Drap peint pour l'Ukraine - Caroline Dahyot

Mon Carnet de Notes

Caroline organise une exposition collective d’Art brut et Art Singulier chaque année au printemps, à la Villa Verveine à Ault (80460). Différents artistes sont exposés dont systématiquement un artiste de la région, de préférence peu exposé.

Il est possible de voir et d’acquérir les œuvres de Caroline Dahyot lors des ouvertures publics de la Villa Verveine ou lors de ses expositions dont les dates et les lieux sont toujours annoncés sur sa page Facebook : https://www.facebook.com/caroline.dahyot

Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/

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