Nous avons tous fait des crèches, Giono a raison. Les crèches sont un moyen d’expression, car, nous sommes toujours à l’époque des cavernes et nous éprouvons le besoin de dessiner sur les parois. Ce n’est pas moi qui le dit mais Giono, encore. Cette idée de caverne, de dessin sur les parois, d’atavisme collectif à l’échelle de l’humanité toute entière me plaît inifiniment. Elle trouve un écho particulièrement incarné en ce joli musée de la crèche et en son festival biennal que j’ai découvert à Muzeray en Meuse, en début de mois, pour vous en raconter l’aventure en guise de cadeau de Noël.

Mais au préalable, il me semble intéressant de retracer un bref historique de la crèche et un aperçu de sa terminologie.

Le mot crèche désigne au sens premier la mangeoire qui sert de berceau improvisé au Christ selon l’Evangile de St Luc. Il vient de l’allemand krippe et son équivalent provençal est grupi. La crèche a pour but de représenter la naissance et les premières étapes de la vie du Christ au moyen de figurines de taille assez réduite.

Très rapidement, elle devint ainsi un support matériel à une pédagogie de prières, la profession de crèchiste apparaissant, en général, dans un centre urbain pour ensuite se développer dans des centres secondaires. Tels les Jésuites, comprenant le pouvoir de la célébration de la Nativité pour transmettre ou affermir la foi de tout un chacun, multiplient les représentations des crèches en modèle réduit dans toute la chrétienté dès la fin du XVIe siècle.

La réalisation de cette crèche et la composition de ses éléments figuratifs suivirent les fluctuations et enrichissements des mythes qui constituent le trésor qu’est notre inconscient collectif. Le lieu de l’étable trouverait son origine dans l’Evangile selon St Luc, la grotte – Tiens, revoici la caverne de Giono… –  serait un thème particulièrement développé au IIe siècle. Les rois mages furent évoqués dans l’Evangile selon St Matthieu. Et l’on retrouve tous ces éléments cités dans le merveilleux récit de La Légende dorée.

Si les plus anciennes représentations de la Nativité datent de l’art paléochrétien du IIIe sous forme de fresques et de bas-reliefs. Une légende, une autre, moins dorée mais particulièrement résistante, attribue l’invention de la crèche à Saint François d’Assise, mais il ne serait pas le seul sur les lieux malgré sa crèche vivante de 1223 avec un âne et un bœuf stricto sensu devant une mangeoire. Nous sommes en plein naturalisme franciscain du Moyen-Âge. La plus ancienne crèche, non vivante, connue date de 1252 et orne un monastère du même ordre religieux en Bavière.

La fabrication de crèches pérennes se poursuivit durant les siècles suivants notamment, donc, sous l’impulsion récurrente de ces ingénieux Jésuites. Etrangement, ce fût l’interdiction de la pratique religieuse, et ainsi de la messe de minuit, prononcée en 1789 sous la Révolution Française qui déclencha une véritable démocratisation de ce rituel au sein de tous les foyers et bien évidemment la réalisation d’une diversité impressionnante dans sa facture.

De cette diversité, le charmant musée de la crèche, certes associatif mais initialement créé par Paul Alexandre en 2005, en est l’un des parfaits représentants notamment en son exposition temporaire actuel dont la thématique est « le Tour du Monde des Crèches ». Merveilleuse thématique pour nous tous qui sommes retreints de voyages et de déplacements depuis plusieurs mois car ainsi il est possible, en allant simplement en Meuse, de se prendre pour un nouveau Phileas Fogg…

Située dans une des maisons anciennes de la rue principale du village, l’installation de cette exposition dont le thème change tous les deux ans, court sur 200m2 et présente, à travers plus de 400 crèches environ, les cinq continents car même l’Océanie s’y inscrit avec la plus modeste, la plus rudimentaire, et par là-même, la plus émouvante des crèches : un petit Jésus en celluloïd déposé dans un plat à fruits utilisé quotidiennement habillé d’un morceau de tissu pour l’occasion.

Autour de cette extrême simplicité, la crèche est dans tous ses états, de couleurs, de matériaux, de tailles, l’une des plus petites est probablement cette merveille d’artisanat d’art sculptée sur un bracelet en ivoire et la plus grande celle en terre cuite du Pérou, absolument splendide. Les matériaux sont innombrables et divers : ébène, pour une crèche contemporaine et épurée venant de Tanzanie,  fastueuse en carton et tissu pour les Philippines, riche et dorée en Equateur, en porcelaine pour le Portugal, sculptée dans une grosse branche en France, en résine avec l’Espagne et l’Angleterre, peinte sur verre en Roumanie, sculptée d’un seul bloc d’ébène au Congo, en bronze au Sénégal, en tissu au Vietnam, en maïs en Tchéquie, en pierre à savon au Kenya, en biscuit, en nacre, en malachite, en verre de Murano, en bois de Wengue, avec un petit air russe aux USA et avec un air très russe pour la Russie.

Elle peut être sous cloche, dans une cruche, sur le trumeau de la cheminée ou bien occuper toute une table comme cette crèche provençale de 18m2, véritable village et œuvre pérenne dans les lieux. Car de cette magnifique création, hormis les 107 santons en provenance direct du sud de la France, tout a été réalisé en terre cuite par les gens de Muzeray en Meuse, absolument tout, des 43 jolies demeures pourvues de 4200 tuiles en terre cuite aux petits légumes que l’on voit sur l’étal de la marchande !

Les crèches de Cracovie ayant la forme d’une cathédrale, sont faites de carton et de papiers métallisés de couleur. Celles de l’Allemagne sont d’une grande richesse et d’une remarquable diversité. Les crèches d’Estremoz au Portugal ont des couleurs vives et beaucoup d’humour.

Pour les pays de tradition orthodoxe, la nativité sera représentée sur des icônes uniquement et dans les pays de culture protestante, le sapin sera souvent le seul à l’honneur. Symbolisant l’Arbre de Vie, l’étoile qui le surmonte est le signe de Bethléem.

L’une de mes préférés est, sans conteste, une crèche africaine de la province du Katanga, sorte de pendant de la célèbre crèche provençale, mais disposée dans un angle plus secret de ce petit musée. Cette installation occupe toute une table ronde qui tourne lentement sur elle-même avec en son centre un très beau masque africain. Ce village en miniature est réalisé en sciure de cuivre mêlé à l’eau et façonné comme de la pâte à modeler puis séché au soleil et sert d’écrin à l’enfant Jésus veillé par sa mère. Entre ombre et lumière, le lent mouvement circulaire infligé à la table me fascine littéralement, je me sens sous l’effet d’un charme, d’un enchantement…

Entre deux contemplations, Paul Alexandre m’explique qu’il a toujours aimé les crèches et les collectionne depuis plusieurs décennies. Sa première crèche était mexicaine et souvent ses amis, revenant de voyage, lui font cadeau d’une merveille en plus pour sa collection. En 1998, il a initié le festival biannuel durant lequel les maisons du village exposent des crèches d’une thématique différente à chaque fois. Sept ans plus tard, face au succès de l’événement, avec une poignée de bénévoles il a crée l’Espace Muséographique CRECCHIO dont les bénéfices servent systématiquement une bonne cause (restauration d’église, projet humanitaire etc).

De nombreuses vitrines du musée sont fait de caisses de pommes venant d’Alsace, les installations sont habillées d’un peu de copeaux de bois, de quelques cailloux, de paille. La récupération est de mise. Cette simplicité est un écrin idéal à la diversité de représentations de la scène de la Nativité de par le monde et corrobore, n’est-ce-pas, parfaitement les mots de Giono. A Muzeray en Meuse, Paul Alexandre et ses acolytes font et refont des crèches, transformant ainsi leur grange en grotte, leur fenêtre ou leur jardin en paroi de caverne, nous racontant durant ce temps rituel de l’Avent et des Fêtes, à nouveau toute une magie venant de loin…dans notre enfance…dans nos rêves…ou d’Ailleurs…

Mon Carnet de Notes

Musée de la crèche – 6 A rue de Forbeuvillers 55230 Muzeray en Meuse. Tel : 03 29 85 93 75. Ouvert les samedis et dimanches de 14h à 20h. En semaine sur rdv. De mai à fin décembre. www.museedelacreche.com alexpaul1945@orange.fr. Le prix d’entrée du musée finance actuellement le projet de la création d’ « Un jardin pour tous » en République Démocratique du Congo.

Festival de la crèche –  Rue principale – 55230 Muzeray en Meuse. Tel : 03 29 85 93 75. Le festival est biennal et a lieu toutes les années paires. Lorsque le temps n’est pas au virus, une grange est chaleureusement investie pour offrir vin chaud, cornet de frites (façon belges, les meilleures !), animations, concerts et instants hors du temps aux admirateurs de ces crèches occupant fenêtres sur rues, ruelles et jardins. Du 12 décembre 2020 au 3 janvier 2021, sans les animations cette année, mais toujours avec les crèches aux fenêtres.

Se loger

A la Maison Mirabeau, dans une demeure de 1930, Béatrice Stablo tient une maison d’hôte qui fait aussi une savoureuse table d’hôte 15 avenue de Troyon 55100 Verdun https://maisonmirabeau.com contact@maisonmirabeau.com

A lire

Dans le Nouveau Testament, le chapitre 2 de l’Evangile selon St Luc relate la naissance et l’enfance du Christ et dans l’Evangile selon St Matthieu, le chapitre 1 reprend la généalogie du Christ et sa conception. Au 2ème chapitre, on retrouve les rois mages. Ed Le livre de Poche

La légende dorée de Jacques de Voragine. Le chapitre VI est notamment consacré à la nativité de Jésus-Christ, l’Epiphanie se trouve au chapitre XIV. L’ouvrage est incontournable pour comprendre l’iconographie chrétienne. Editions Points. Collection Sagesses

Ce reportage a été réalisé grâce à Meuse Attractivité 28 rue des Romains – BP 40038 – 55001 Bar-le-Duc cedex tel : 03 29 45 78 40 www.lameuse.fr #lameuse #MeuseTourisme

Je vous souhaite un Joyeux Noël et une douce et chaleureuse fin d’année malgré toutes les restrictions que nous vivons à notre corps défendant. 2021 sera meilleur, il ne peut en être autrement !

Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/

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