Une visite dans la Cité internationale de la tapisserie est le gage de pénétrer dans un monde tissant au propre et au figuré des liens entre hier et…demain au regard de la remarquable dynamique perceptible dans les différents départements constituant cet univers du tissage.
Installée dans l’ancien bâtiment de l’Ecole Nationale d’Art Décoratif à Aubusson, la Cité internationale de la Tapisserie a ouvert ses portes en juillet 2016. Ce vaste ensemble, qui fût, notamment, un couvent de frères franciscains du XVIIe au XVIIIe siècle, se veut à la fois un lieu muséographique inédit, un espace de formation et de documentations et un endroit de création contemporaine particulièrement audacieux. Ce concept est, ainsi, une formidable réponse à l’inscription à l’UNESCO des savoir-faire d’Aubusson en 2009.
Visite d’un lieu innovant
Le parcours d’exposition de la Cité internationale de la tapisserie s’étend sur 1200m2 scandé en trois espaces scénographiés par Frédérique Paoletti et Catherine Rouland. Ayant une dimension volontairement scientifique, cette installation muséographique demeure à la fois très contemporaine et majestueuse à la fois.
Elle est accompagnée d’un Centre de ressources – bibliothèque des Arts André Chandernagor ouvert aux chercheurs et aux élèves.
Et ainsi, cette Cité internationale de la Tapisserie achève d’être, aussi, un véritable creuset mémoriel et inspirant pour les dix-sept étudiants qui, tous les deux ans, intègrent le programme de formation, particulièrement intensif, aux métiers d’art ayant trait à la réalisation d’une tapisserie (dessin, carton, histoire de l’art et de la tapisserie, tissage, travail de la couleur…).
Cette formation est l’un des pôles importants de la Cité, tout comme les appels à création contemporaine lancés annuellement depuis 2010 et abordant des domaines tels l’installation, le design, la mode, d’autres arts décoratifs etc.
La découverte d’un Patrimoine culturel immatériel rare
Suivant la première salle consacrée aux expressions textiles dans différentes régions du monde, l’espace « Les Mains d’Aubusson » est dédié aux savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson. Savoir-faire inscrits à la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO et dont la reconnaissance repose sur deux axes majeurs que l’on découvre avec différents objets et documents audiovisuels.
De fait, une véritable communauté professionnelle représentant tous les savoir-faire nécessaires à la production de tapisseries d’Aubusson existe toujours depuis six siècles, perpétuant la filière de la production.
Par ailleurs, toute tapisserie est issue d’une création plurielle naissant d’échanges entre l’auteur d’une intention artistique, autrement dit d’un dessin réfléchi pour le tissage et d’un lissier riche d’un savoir-faire ancestral.
Pour mémoire, une tapisserie se réalise en quatre temps : la création d’un dessin qui sert de maquette. Ce motif va être retranscrit sur un carton à l’envers et à l’échelle de la future tapisserie. Puis le carton est glissé sous la chaîne du métier à tisser, le lissier va suivre ce carton et tisser ainsi le dessin initial. Vous pouvez retrouver plus d’éléments sur le procédé de travail dans mon reportage : https://lesvoyagesdeberengere.com/comme-un-hommage-musee-des-cartons-de-tapisserie-daubusson/6k7f6u2bd/cote-musee/
L’exception de la tapisserie d’Aubusson est fortement liée à l’interaction entre tous les savoir-faire nécessaires pour la réalisation d’une tapisserie mais, elle est aussi en lien à la richesse d’un territoire. Riche en eau, le sud de la Creuse permit, très tôt, l’élevage ovin et la production d’une belle laine suffisamment élastique pour se faire au tissage. Ainsi, dès le milieu du XVe siècle, on tissait déjà parfaitement de grandes tapisseries. Depuis six siècles, sur une même terre, tous les maillons de la filière – production de laine, lavage et préparation de la laine, filage, teinture, puis tissage – se trouvent réunis
Dans cet espace du musée, toutes les productions sont représentées de la tapisserie murale, en passant par la moquette mécanique ou par le tapis de haute-lisse….
La Nef des Tentures : Un voyage dans le temps
Au rez-de-chaussée du bâtiment, je pénètre dans la Nef des Tentures qui retrace, dans des décors en trompe l’œil inspirés de l’univers théâtrale, l’histoire et l’évolution des tapisseries de la Marche (région d’Aubusson et de Felletin sœurs jumelles en tapisserie). Mes premiers pas dans ce grand vaisseau du tissage sont impressionnés et, de fait, lents. Une majesté se dégage des pièces exposées, la beauté des tapisseries est souvent spectaculaire.
L’origine des tapisseries de la Marche reste obscure. Elle a longtemps été attribuée au monde arabe, la rattachant à une vieille légende évoquant une troupe de Sarrasins perdu après la bataille de 732 au moment où Charles Martel bloqua l’expansion arabe vers le Nord.
Une autre hypothèse – dont George Sand était friande – soutenait que l’exil du prince ottoman Zizim à Bourganeuf à 40km d’Aubusson se serait fait en compagnie de ses ateliers (nomades ?) de tisserands turcs.
Mais, de façon plus légitime, l’origine des tapisseries de la Marche serait issue des alliances entre des familles flamandes et les seigneurs de la Marche, qui auraient influencé l’établissement de lissiers d’Arras ou du Hainaut vers Aubusson et Felletin au XIVe siècle ou au XVe siècle.
Le plaisir visuel de la découverte des œuvres exposées dans cette Nef des Tentures est complet. Passant des millefleurs de la fin du XVe siècle aux verdures à feuilles de choux du XVIe siècle, puis aux scènes galantes ou champêtres d’une finesse impressionnante et d’une grande richesse colorimétrique, aux chinoiseries ou encore aux tapisseries pour le mobilier du XIXe siècle, je découvre que les tapisseries d’Aubusson se distinguent, visuellement, dès 1665, non seulement par une marque tissée en lisière : MRDA pour Manufacture Royale D’Aubusson, mais aussi par le liseré bleu qui les sertit. Ce liseré est rouge pour les tapisseries sortant des Gobelins, vert à Beauvais et marron à Felletin.
Le renouveau de la tapisserie
A partir du XXe siècle, la tapisserie commença à se renouveler sous l’impulsion du nouveau directeur de l’Ecole Nationale des Arts décoratifs d’Aubusson, Antoine-Marius Martin (1869-1955), qui théorisa et publia, notamment, ce qu’il appela La Rénovation de la tapisserie.
Vingt ans plus tard, l’artiste Jean Lurçat marqua durablement l’histoire de la tapisserie contemporaine. Il fit parti des artistes cartonniers réalisant à la fois le dessin initial et son carton. Ses modèles sont admirables de force, d’expressivité, leurs couleurs vives happent le regard. Dans la Nef des Tentures, j’y reviens comme vers un aimant tant l’élan de vie y est fascinant !
Résultant des différents appels à la création contemporaine, les œuvres récompensées se découvrent un peu partout dans le vaste parcours venant parfois ponctuer un thème exploré de façons différentes en fonction des époques comme pour la création Le Bain de Christophe Marchalot et Félicia Fortuna en regard de grands panneaux de tapisseries de scènes galantes du XVIIIe siècle.
Dans les étages, mon regard s’arrête longuement devant une sublime Pieta for World War de Thomas Bayrle de 2016 commémorant le Centenaire de la Première Guerre Mondiale.
Aubusson tisse Tolkien
Un peu plus loin, j’aperçois les tapisseries tissées d’après l’œuvre graphique originale de J.R.R. Tolkien (1892-1973). Ce travail éblouissant est particulièrement émouvant dans sa démarche issue d’une réflexion menée par le conservateur de la Cité internationale de la Tapisserie dès 2010 et poursuivit dans une étroite collaboration avec Christopher Tolkien, le fils de l’auteur du célèbre roman Le Seigneur des anneaux.
Quatorze dessins et aquarelles de J.R.R. Tolkien sélectionnées de concert ont été tissés à Aubusson en tapisserie ou en tapis.
Ces oeuvres créent un lien véritablement tissé et innovant entre la tradition des grandes tentures narratives des XVIIe et XVIIIe siècle et une modernité singulière dans la représentation d’une iconographie personnelle à un auteur.
Dans l’histoire de la tapisserie, une grande tenture narrative est un ensemble de tapisseries illustrant des épisodes d’un récit littéraire important tel L’Odyssée d’Ulysse de Homère. Ce principe disparut totalement aux XIXe siècle et XXe siècle. Le choix de l’oeuvre de Tolkien, dont l’univers imaginé s’apparente de très près à une nouvelle mythologie, apporte une renaissance particulièrement stimulante pour le support de la tenture narrative.
La Cité internationale de la tapisserie crée une grande tenture pour Miyazaki
Dans cette tendance définitivement contemporaine de renouer avec les grandes tentures d’antan pour s’immerger dans une narration moderne au souffle épique, l’aventure des tentures-évènements se poursuit avec l’œuvre d’Hayao Miyazaki.
Une salle entière est consacrée à ce beau projet permettant aux visiteurs de découvrir les maquettes des différentes scènes choisies dans les films de l’artiste et le format qu’auront les tapisseries finales.
Au moment de mon reportage, j’eus la chance de visiter l’Atelier de tissage de la Cité dans lequel Patrick Guillot lissier de profession réalisait la première tapisserie de cette grande tenture à venir. Travaillant sur un métier à tisser long de 8 mètres et mis à disposition par l’Atelier Guillot, Patrick, son épouse et leur fils, suivant attentivement le carton sous les fils, passaient en aller/retour permanent leur flûte enroulée d’un fil recouvrant les fils pairs ou impairs, tendus perpendiculairement.
Depuis le 25 mars, la tombée de métier de la splendide tapisserie Princesse Mononoké entraîne l’exposition de cette nouvelle œuvre durant tout le mois d’avril 2022 à la Cité Internationale de la Tapisserie, fêtant à sa façon le début du printemps.
Princesse Mononoké Photo de Béatrice Faury.
Mon Carnet de Notes
Visite de La Cité internationale de la tapisserie – rue des Arts – 23200 AUBUSSON www.cite-tapisserie.fr tel : 05 55 55 66 66 contact@cite-tapisserie.fr. Ouvert de septembre à juin : 9h30-12h et 14h-18h tous les jours sauf le mardi. Ouvert juillet et août : 10h-18h tous les jours sauf le mardi ouvert de 14h à 18h. Les visites guidées sont gratuites et sans réservation.
A ne pas manquer : l’exposition de la tapisserie « Princesse Mononoké » dès le 25 mars 2022 durant tout le mois d’avril 2022.
A voir dès le 2 juillet 2022 jusqu’au 18 septembre 2022, l’exposition « Tisser la nature » dans cinq institutions culturelles du Massif Central liées à l’art tissé – Musée de Lodève, la Cité internationale de la Tapisserie, l’abbaye de la Chaise-Dieu, le Musée Dom Robert et l’atelier-musée Jean Lurçat. Cette exposition au long cours regroupe plus d’une soixantaine de tapisseries, anciennes et contemporaines explorant la représentation de la nature dans l’univers tissé de la tapisserie et du tapis du XVe siècle au XXIe siècle.
Ce reportage a été réalisé grâce à Tourisme-Creuse. Agence de Développement et de Réservation Touristiques- 9 Avenue Fayolle – 23005 Guéret. www.tourisme-creuse.com
Vous pouvez retrouver l’intégralité de mes reportages en ligne : https://lesvoyagesdeberengere.com/reportages/
Vous aimez mon travail ? Permettez-moi de vous prévenir des prochaines parutions.
Une merveille : tes images donnent une grande envie de visiter et de se perdre dans ce monde de fils. Dans ce monde tout court.
Magnifique et très intéressant. Je suis passée à Aubusson il y a une quinzaine d’années et j’avais visité le Musée.
Je trouve cette interaction entre la peinture et le fil passionnante!.
Merciii beaucoup pour votre reportage très bien fait.
Hélène
Votre reportage est très intéressant de nous exposer
un savoir faire ancestral et des tapisseries contemporaines .
Merci , 👏 Bérengère
Magnifique travail bien mis en valeur par l’exposition. Merci pour ce reportage mis e, ligne. Genka